31 décembre 2006

Le retour de l'abominable Dr. Phibes...en 2007




















Bonne année aux Nanochéviks, aux Syndicalistes, aux Stigléristes... et à toutes les bandes de l'antimonde et en particulier aux Enfants de Don Quichotte !
(la voix ( voie ?) philosophique de Bernard Stigler)

et en cadeau : une Death Card de Jacques Beauregard





19 décembre 2006

L'aigle de Sibérie (1987) un roman hallucinant de Joseph Heywood

« L’aigle de Sibérie » (1987) est un livre méconnu écrit par Joseph Heywood. Dans un style haletant, l’histoire raconte, depuis la chute de Berlin, la course poursuite à travers l’Europe entre un colonel SS chargé de conduire un certain « Wolf » en Italie, et un commando soviétique dirigé par le redoutable « Berkout » ou l’aigle de Sibérie, du nom du seul rapace qui chasse le Loup. Ce livre ne serait qu’une course poursuite classique si l’auteur ne prenait pas un malin plaisir à brouiller les pistes. Les chasseurs sont aussi impitoyables que les proies. L’action est décrite avec un cynisme et une froideur exemplaire qui laisse le lecteur dans un état de confusion morale absolue. L’idée géniale de Joseph Heywood a été d’introduire un troisième point de vue à travers le personnage de Beau Valentine, héros charnière toujours à la traîne des événements. Agent de l’OSS en Europe, Beau Valentine, est mis à la retraite lorsque l’OSS est remplacée par la CIA mais celui ci, sans écouter ses supérieurs, se lance dans une enquête minutieuse. Joseph Heywood nous introduit ainsi dans trois points de vue antagonistes et complémentaires. D’abord les proies, leurs techniques d’évasion, leurs psychologies et leur objectif, puis les chasseurs, véritable machine de guerre de Staline lancée sur les traces de « Wolf », et enfin Beau Valentine, celui qui cherche à comprendre et qui élève le lecteur vers une vision globale du drame. Cette course poursuite à trois, se déroule dans une ambiance et des paysages merveilleusement décrits comme le Berlin en ruine de 1945, le massif du Harz, les Alpes autrichiennes et l’Italie du Nord. En outre, Beau Valentine ne suit pas la piste à la trace, mais , à la manière d’un limier deleuzien, prend des routes transversales qui le conduisent de Paris à Genève en passant par Vienne et Rome. Visuellement, le livre de Heywood est une superproduction. Littérairement, c’est un livre monstre. A découvrir…Mais attention, coeurs sensibles s'abstenir, la fin est insoutenable et laisse le lecteur horrifié devant tant de haine...

L’aigle de Sibérie ( The Berkout), Joseph Heywood ( 1987) - Livre de Poche

15 décembre 2006

Le Prix Nobel réinvente le fil à couper le beurre (pour les pauvres)
















Extrait de la lettre de félicitations Monsieur Jacques Chirac, Président de la République, à Monsieur Yunis :

Monsieur le Président, Cher Professeur, Cher Ami,

C'est avec une immense joie que j'ai appris l'attribution du Prix Nobel de la Paix à vous-même et à la Grameen Bank que vous avez fondée.

En vous rendant hommage, le Comité Nobel salue une grande réalisation de solidarité, de développement et de paix. Il récompense aussi l'originalité, la justesse et la détermination de votre action pour développer la micro-finance. Il donne une impulsion nouvelle à cet exceptionnel instrument de solidarité appelé à se diffuser plus encore dans le monde.

Vous, le visionnaire "banquier des pauvres", avez par votre démarche à la fois intelligente et généreuse, fondée sur la dignité de l'Homme, réussi à allier esprit d'initiative et responsabilité sociale. La priorité que vous avez donnée aux femmes dans l'activité de la Grameen Bank, dont elles représentent 97 % des bénéficiaires, s'est également révélée un élément essentiel du succès de votre action. (...)

Coupons la tête à la mémoire courte et rappelons que Monsieur Yunis n’est pas un visionnaire, mais un banquier humaniste et malin qui a réussit à s’accaparer une idée qui vient de gens dont les noms seuls, suffiraient à faire vomir un représentant du FMI.

Rappelons que c’est Robert Owen (1771-1858) qui fonde en 1830 la National Equitable Labour Exchange, sorte de Bourse du Travail où s’échangent des bons du travail. En France, c’est Philippe Buchez (1796-1865) qui formule après 1830 la notion de « banque de crédit public ». Proudhon créera une « micro-utopie » avec la Banque du Peuple. Idée reprise et par les frères Reclus au XIXème. Le socialiste-mystique William Weitling (1817-1875) propose une banque d’échange et de crédit gratuit pour les pauvres. Aux Etats Unis, Benjamin R. Tucker fonde la Mutual Banking sur les idées de Proudhon et de Kropotkine. Lors de la République des Conseils de Munich, le libertaire Silvio Gesell, proche de Gustav Landauer et de Kurt Eisner, tente d’expérimenter son « utopie monétaire ». En Espagne de 1936 à 1939, c’est l’idée de Banco Sindical Ibérico. En Allemagne Fédérale, dès 1978, c’est la Netzwerk Selbsthilfe de Berlin. En1988 la Ökobank de Francfort sert d’ossature au mouvement communautaire.

Micro crédit=Grande amnésie.

(source : oeuvre mutaliste , dossiers de Michel Antony)

11 décembre 2006

"The Pinball Effect" de James Burke : Un livre culte



















Publié en 1996, "The pinball effect" de James Burke est certainement le plus brillant voyage littéraire à travers les idées et la connaissance. Théoricien d'un nouveau mode de pensée à base de connections et de réseaux, James Burke rend obsolète toutes les explications du monde telles quelles sont encore enseignées de nos jours. James Burke était un visionnaire il y a dix ans, et aujourd'hui, force est de reconnaitre qu'il l'est toujours... Le "pinball effect" est cet engrenage de causes à effets (connections) qui permet à un détail insignifiant d'avoir des répercutions fondamentales sur le monde... Comme le fait de savoir que les jardins d'eau de la Renaissance ont rendu possible l'invention du "carburateur"... Inutile de dire que "The pinball effect" a une influence particulière sur le "nanochévisme"...
L'idée philosophique de James Burke est que l'univers n'existe qu'à travers la perception que nous en avons, mais si vous changez votre perception de l'univers, c'est l'univers lui même qui change... Une idée dangereuse ? Très certainement...


( bien évidemment ce livre n'a jamais été traduit en français...)


10 décembre 2006

Poèmes d'outre temps : Wanderer et la maison de thé

En fouillant dans de vieux papiers je suis tombé par hasard sur quelques poèmes dont je pensais m'être débarrassés depuis plus de huit ou neuf années. Bien que je n'écrive plus de poésies depuis toutes ces années, je suis malgré tout touché par ce poème "revenant" qui traite du thème de l'errance à une époque ou je ne connaissais pas Gusto Gräser. Etrangement ce poème est intitulé : wanderer ( vagabond), et se déroule dans une Thuringe intemporelle...
Le côté "fin de siècle" ( forcément) et l'ambiance morbide me fait bien rire aujourd'hui... Mais pourquoi pas ? Il fallait bien passer par là !



















WANDERER

Un train résonne dans ma tête
Le quai est vide à la gare de Saint-Gall
Un espion est assis, presque amical

Un bleu de Prusse derrière ses lunettes de fer
Est-ce une ombre ?
Comme ce train qui résonne
Draisine fantôme qui hurle dans ma tête ?

Par la fenêtre, j'ai tendu mon bras
Pour toucher le Danube et le galbe d'un sein
Une courbe hermétique à l'aube dorée

Où ma main ressemble à celle du Malin

J'ai rêvé ma chanson à Marienbad
Sur un quai vide de gare
Où une vieille femme malade
Errait, Pythie hagarde
Entre les rames vides

Des esclaves aux regards tristes
Se noyaient dans le Styx
Et la galère aux rames inutiles
Transportait les âmes numérotées
Sous un aveugle crucifix

Un contrôleur à l'accent de Lübeck
Comme un automate mélancolique
M'a demandé mon ticket pour l'Aigle Noir
Avant de me laisser partir sur les routes du soir

Au delà de Thuringe, j'ai été troubadour
Pour un rêve, un conte, une histoire d'amour

Où chaque pas qui m'éloigne de toi
Me rapproche un peu plus de la gare de triage
Où les destins se croisent de l'azur au ponant

Et les machines de rage
Nous laissent vieillissants
Aux portes de la Ville



Un autre poème très "victorien" qui explore le versant himalayen du vagabondage :

















La maison de thé :

Prends ta vieille malle, voyageur
Quelques cachemires
Un gilet aux boutons dorés
Un recueil de Tennyson
Un clipper ou un aéroplane
Et sur ces pentes anthracite
Des contreforts himalayens
Avance sans t'arrêter
Sur ces ponts volants
Au dessus des torrents
Là bas ! Trouve un bosquet de Bactriane
Et choisis dans ton herbier
Entre Passiflore et Aquilea
Effeuille la muse de Darwin
Les rouages bruts du cosmographe
Deviens voyageur de la contre marche
Explore ce temps omnivore
Eloigne-toi des Bosphores cicatriciels
Et fuis ces cités de phosphore
Et sur les sentiers brahmanes
Au doux parfum de bergamote
Tu trouveras, voyageur
Cette vieille maison de thé
Entre Passiflore et Aquilea
Et souviens-toi d'un visage gravé
De gaiäc et de plomb

Au bout du chemin, voyageur
Tu trouveras une maison de thé
Et un visage aimé
Entre Passiflore et Aquilea




07 décembre 2006

La dernière vallée : le plus grand film de tous les temps

























Réalisé par James Clavell, l'un des plus brillant ( et méconnu) écrivain de sa génération (Shogun, Taipan, King Rat, la noble maison ), The last Valley, "la dernière vallée" est une variation sur les 7 samouraïs de Kurosawa. L'action se déroule pendant les guerres de religion et fait intervenir des thèmes aussi variés que l'utopie, la jalousie, le fanatisme, l'humanisme, l'amour,l'amitié, la haine ... The last valley n'entre pas dans le cadre étroit du cinéma pour critiques et enculeurs de mouches. The last valley est un film-monde, une bombe cinématographique, ou un exercice de terrorisme humaniste unique dans l'histoire du septième art... L'interprétation du "Capitaine" par Michael Caine, est certainement le plus beau rôle de sa carrière. La musique de John Barry, et le thème "la mort du capitaine" atteint des sommets de lyrisme et d'intensité dramatique. Un film nanochevik!



quelques exemples d'affiches :




04 décembre 2006

Soirée Jalouse, Beigbeder et les naturmenschen urbains: Ohne Zwang !

« Suivez la fumée ! » et nous voilà à l’assaut d’un bar à flûtes en état de siège. Dehors la plage des Vosges s’enfonce dans une torpeur mesquine. Jean-Edern n’est plus là pour shooter les pigeons avec sa 22 long rifle. Dehors, c’est un peu la Pologne de Jarry. Nulle part quoi! D’ailleurs on ne prend plus le métro depuis que la Stasi Est Allemande s’est reconvertie à la RATP. On ne se fait même plus agresser ! Hugo Pratt avait l’habitude de dire qu’il préférait se retrouver avec un voleur sur une petite route déserte du Brésil, qu’avec un quarteron de ministres. A bas la sécurité, Vive l’insécurité ! On ne va pas gagner les élections avec un tel slogan, mais au moins on gardera la tête haute... Pour boire du champagne, de toute façon, mieux vaut se tenir debout que de ramper sous le joug. Dahan, avec son look d’Apache post maoïste est en vigie comme un U-Boat type 21 dans l’Atlantique nord. En tout cas il ne fonctionne pas à l’alcool mais avec une pile à combustible. Etonnant à voir : un requin placide chez Jalouse. Pendant ce temps Beigbbeder en pull cachemire bleu ciel, est Absolut-ment ravi. Pas nous. Ça me fait penser au fim Dawn of the Dead ( L’armée des morts), surtout la fin, quand ils arrivent dans l’île et que c’est encore plus pourrave que le centre commercial qu’il ont quitté. On saute à pieds joints dans la rue. Beigbeider, ce pilote de la nuit, saute dans sa mini ébène décapotable. Il fait 0° mais il ouvre sa capote et met ses lunettes noires. La classe et la fureur de vivre des années 2000. Poliakov, debout sur son vélo, l’interpelle « Où tu vas Frédéric ? » « Je vais baiser ! ». C’est vrai, Madame se tient tranquille. C’est la fureur de vivre jusqu’au bout. Il nous gratifie en passant d’un NMM ou Nique Ma Mère, une de ses dernières inventions. Poliakov avec son esprit pinailleur lui renvoi un magnifique « Elle n’est pas potable ! ». Voici, une nuit qui se termine. Les naturmenschen urbains ont encore frappés. C’est l’homme au centre de la nature et non pas le contraire, (les écolos...) Les naturmenschen urbains aiment la nature, mais aussi la symphonie des grandes villes, le reflet expressionniste des usines désaffectées. Les naturmenschen urbains aiment jouer à saute moutons sur les trottoirs, griller les feux rouges, boire de la bière, pousser des cris de bête dans la nuit, manger de la viande comme le loup des steppes ou se nourrir exclusivement de fruits secs et boire du champagne, évidemment. Evidemment. Vive la nature ! Vive l’insécurité ! Ohne Zwang ! Sans contrainte !





















Photo par le naturmensch urbain Oguste

30 novembre 2006

Beauregard : Souvenirs de Fort Union-Missouri-1870
















« Les mémoires de Jacques Toutant Beauregard », dont je livre quelques extraits, ne peuvent, à l’heure actuelle, être formellement identifiés. Un commissaire priseur de mes amis, pense qu’il s’agit d’un apocryphe réalisé dans les années 1960 par l’écrivain Frederic Prokosch. Quoiqu’il en soit, n’utilisez pas ces extraits dans vos travaux universitaires tant que l’origine de ce manuscrit n’aura pas été établie. J’ai cependant sélectionné un passage qui a le mérite de dévoiler une image de l’Amérique qui prend à contre-pieds la vision «glorieuse » que les Américains ont d’eux mêmes. Dérangeant...

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Nous sommes en train de naviguer entre la Floride et l’île de Cuba, reprenant l’ancienne route des galions espagnols vers Séville. Je suis allongé sur ma couchette et je ressens, à travers la coque du navire, les vagues tumultueuses se briser, et éclater contre les bords. L’océan ressemble étrangement à la frontière.

Souvenirs de Fort Union-Missouri-1870

Je revois toujours l’imposante silhouette du fort Laramie, comme un esquif échoué sur les rives d’une mer ténébreuse. Jusqu’en 1849 le fort avait été la véritable porte du royaume de l’Ouest. Mais son rachat pour quatre dollars par l’US army, fit reculer la frontière vers les montagnes rocheuses et les territoires du Dakota et des Black hills. J’avais 22 ans, lorsque je partais sur les traces des mountain men et que je passais pour la première fois devant ce fort mythique dont les hautes palissades avaient été démontées depuis bien longtemps. Ainsi, dès ma naissance en 1848, les terres des frontiermen commençaient doucement à s’estomper devant la civilisation. Lorsque je me rendis dans l’Ouest en cette année 1870, l’armée avait déjà érigé une ligne de forts vers le Yellostown et le Missouri. La porte de l’ouest à cette époque, avait les allures d’un hole in the wall, un endroit secret dont on chuchotait le nom avec discrétion; il s’agissait d’un vieux fort en ruine, fort Union, fondé par le trappeur Kenneth McEnzie en 1828 en bordure des monts N.Dak et qui avait lui aussi été vendu à l’armée en 1867, mais celle-ci préféra construire un nouveau fort à trois miles plus à l’est. Abandonné, le fort Union n’en continua pas moins à être le point de rendez-vous clandestin des indiens et des trappeurs dont le commerce s’accommodait mal de l’armée et des lois.

Les maîtres du camp étaient les survivants de la tribu des Hidatsas qui avaient été éradiqués par l’épidémie de variole de 1837, et son chef Crow Flies High, régnait sur les ruines comme un despote éclairé. Une ville cosmopolite de tipis avait poussé autour du fort, elle réunissait des tribus aussi différentes que les Assiniboine, Crow, Cree, Ojibway, Blackfeet, Arikoa, Mandan, Sioux et les sang mêlés de la vallée de la rivière rouge. La grande cour du fort, illuminée par des feux, laissait entrer une foule de curieux et d’acheteurs qui passaient entre les nombreuses ouvertures de la palissade éventrée. Le chef Hidatsa avait ses quartiers dans un donjon du fort, lui et sa garde prétorienne portaient des dolmans rouges et dorés qui avaient appartenu à la garde impériale mexicaine de Maximilien de Habsbourg, et qu’ils revêtaient par dessus la traditionnelle tenue en daim; ils portaient en outre d’énormes chapkas en peau de bisons qui leur donnait un faux air de Horse-guards britanniques. La compagnie de Crow Flies High régnait en maître sur le commerce, et les commissions allaient directement dans la poche du chef. Ici, pas question de concurrence, et la plupart des téméraires étaient tirés comme des lapins et dévorés par les loups. Le fort avait une allure de foire permanente et sur la plaza on s’échangeait des fourrures contre des armes, des couvertures, des ustensiles de cuisine et des vêtements. On pouvait en outre se faire arracher les dents par de faux dentistes métis, acheter des objets magiques, bijoux, talismans et autres chemises d’invulnérabilité très prisées des Indiens. La foule était composée de squaws et d’enfants, de guerriers enroulés dans de longues couvertures, de marchands ambulants et de trafiquants en haut de formes ou en Derby, d’aventuriers en vieilles redingotes militaires, de trappeurs et de coureurs des pistes au bonnet en peau de castor, certains d’entre eux avaient des vestes de daim lubrifiées à la graisse, dont la partie supérieure était confectionnée avec des étoffes rouge de velours précieux. Quelques uns étaient vêtus à la cosaque, en chemises sans cols et longs manteaux de fourrure en peaux de loups. Ils portaient la barbe avec de longs cheveux tombant sur les épaules. La plupart des mountain men ne quittaient jamais leurs grands fusils et tous arboraient un tomahawk, une paire de revolvers, un imposant Bowie Knife ou de minces dagues d’Arkansas passées dans la boucle de ceinture.

Dans un coin du fort, les colons qui voulaient éviter les humiliations et le racket de l’armée, s’étaient donné rendez-vous au Fort Union. Ils étaient à la recherche d’un guide pour le passage à l’ouest et vendaient leurs mules pouilleuses contre des vivres, leurs lourds chariots attendant à l’extérieur. Il arrivait souvent que les hommes des caravanes en viennent aux mains d’une manière brutale. Ici, au seuil de la frontière, de nouveaux chefs faisaient leur apparition sous le rire amusé des pisteurs qui attendaient que le couteau tranche la gorge du plus faible pour que les vaisseaux des prairies puissent se choisir un nouveau capitaine pour traverser les territoires sauvages. C’était au fort Union que les valeurs s’inversaient, et les wagon masters qui avaient guidé leur troupeau jusqu’ici, les instituteurs, clerc de notaire, et autres docteurs, étaient impitoyablement mis à bas par de rudes paysans, bûcherons, ouvriers, policiers ou toute arsouille des faubourgs suffisamment rusée et violente. Lorsqu’ils osaient résister au coup d’État, ils étaient tués. S’ils se soumettaient, ils étaient abandonnés et venaient grossir le rang des clochards qui hantaient le fort, puis, lorsque leur nombre augmentait au delà du raisonnable, Crow Flies High agissait comme un véritable satrape, et les malheureux étaient éliminés comme des parasites sans plus d’égards que lors d’une banale séance d’épouillage. C’est ainsi que des familles entières se recomposaient autour des mâles dominants, les femmes et leurs marmailles changeaient de mains, sans que ces derniers ne protestent beaucoup devant la chance supplémentaire qu’il leur était donné de survivre à leur périple. En l’absence de saloon, les Hidatsa organisaient des représentations théâtrales dans l’enceinte du fort. On pouvait ainsi assister à des danses indiennes assez ennuyeuses, si ce n’étaient les exotiques costumes emplumés, et des démonstrations d’adresses des confréries tribales d’acrobates, de jongleurs ou de lanceurs de couteaux. Mais le clou du spectacle était la cérémonie ou les Indiens se plaisaient à parodier le rituel catholique. Ils dressaient alors un crucifix ou un castor vivant était crucifié à l’aide de longs clous et le faux prêtre, qui était revêtu d’une tenue ecclésiastique trouée d’impacts de flèches, remplaçait la communion par des excréments ou des mets répugnants comme les têtes de souris ou des entrailles de chiens. La foule était en délire, pendant que des porteurs de lourdes calebasses passaient entre les rangs en remplissant les gobelets d’un quelconque jus de tarentule vendu par un trafiquant d’alcool local. Les spectateurs hurlaient de rire lorsque le prêtre obligeait les enfants de cœur à uriner en groupe dans un gros seau, ou ce dernier plongeait sa coupe pour y boire à grandes rasades. La cérémonie sacrilège finissait par une mêlée générale ou tout le monde était arrosé à grands jets d’urine. La suite des festivités consistait en des concours d’ingestion d’excréments qui étaient organisés par les jeunes membres des confréries de medecine men, particulièrement friands de cette nourriture au point de rivaliser sportivement entre eux. Jusqu'à aujourd'hui, je n’ai jamais trouvé le spectacle grand guignol des Hidatsas, plus répugnant que les fantasques zouaves irlandais du Louisiana Tiger Bataillon. Ces zouaves défilaient dans les rues de la Nouvelle-Orléans en 1861 avec leurs ridicules uniformes offerts par les bourgeois de la ville et qui consistaient en un pantalon bouffant blanc à rayures bleues, une chemise rouge, un boléro noir gansé de soie pourpre avec brandebourgs assortis, et affublés d’un petit bonnet de laine vermillon avec passementerie à pompon turquoise. Ce costume de clown me fait moins rire que l’uniforme impérial de Crow Flies High, puisque ces jeunes irlandais furent envoyés à la mort sans aucun état d’âme et qu’a la fin de la guerre on aurait demandé en vain à voir les restes du fameux Louisiana Tiger Bataillon. Le fort Union portait les stigmates des deux mondes, ni tout à fait la civilisation, ni tout à fait la frontière, il avait l’apparence d’un monstre ou d’un cancer sournois sur un corps encore sain ou les symptômes de la maladie apparaissent cependant inéluctables, avançant sous le masque rouge, exorcisant l’avenir par la fête et la folie. Aujourd’hui, le fort Union n’est plus qu’un château fantôme, une cellule morte enkystée dans l’épiderme de l’Amérique. Pareille au vieux dolman pourrissant sous les murs effondrés et la neige immaculée que ne viennent plus salir les pieds sales et le sang gelé des hommes libres.

29 novembre 2006

TAO - Un voyage de 27 ans..."Puer Aeternus"
























En passant par hasard
dans la librairie allemande Marissal Bücher, 42 rue Rambuteau (75003), j'arrive exactement au moment ou Le Tao de Gräser est livré. La rencontre est d'autant plus étonnante qu'il s'agit d'un ouvrage publié en 1979, il a donc fait un voyage de 27 ans pour arriver au rendez vous en même temps que moi... ça doit être ça le Tao ! On n'y accorde pas plus d'importance, mais ça fait plaisir. Surtout qu'il s'agit un très bel ouvrage, avec une qualité de papier digne du moyen âge. L'éditeur est Büchse der Pandora, La boîte de Pandore...









A la fin de l'ouvrage, le nom de
Colin Wilson est cité avec celui de Raymond Duncan, et Bruno Götz, comme faisant parti du cercle Gräser... Il n'y a plus de doute possible sur la connection :

Colin Wilson-Raymond Duncan-Alfred Reynolds (The Bridge)-Gusto Gräser

Le personnage de Bruno Götz ( ou Goetz) m'a donné du fil a retordre, je savais qu'il était lié à la communauté de Monte Verita fondé entre autre par Gräser en 1900, mais j'avais très peu d'informations sur lui. Qu'il apparaisse comme membre du cercle Gräser dans les années 1950, était une révélation !

Après quelques recherches, Götz s'est révélé un maillon fondamental des hommes qui gravitaient autour du vieux vagabond.

Bruno Götz ( ou Goetz)(1885-1954);Poète suisse lié à la communauté de Monte Verita, il explore les mystères de l’âme à travers les théories freudiennes et les archétypes jungiens. S’entretient avec Freud en 1904-5. Bien avant les Nazis, il écrit sur l’avènement du Troisième Empire, qu’il assimile au Royaume de Dieu dans lequel le paganisme et le christianisme se mélangent. Les Nazis tenteront de le récupérer dans les années 1930 afin qu’il écrive pour eux, mais il refusa froidement l’offre. En 1934 Jung, s’inspirant des oeuvres de Goetz, organise un séminaire sur Zarathoustra, ou il interprète le symbole de l’aigle et du serpent comme la représentation de l’opposition corps-esprit. Les zoroastriens pensaient qu’a la fin des temps les deux pôles opposés seront relié entre eux par le « pont » de cinvat, ou Pont du Jugement et l’univers sera ainsi purifié. Dans cette optique Götz travaillait sur le concept de « renaissance psychologique » ou archétype du « Puer Aeternus ». :« Les pouvoirs et les images du mythe, les Dieux, qui encore aujourd’hui existent dans les profondeurs de chaque âme, sont à la source souterraine des mes poèmes » . Il existe une étrange similitude entre les idées de Bruno Goetz et l’action d’Alfred Reynolds dont l’organisation prend le nom de » Pont », « Bridge » similaire au mythe de Zarathoustra étudié par le poète suisse et le psychanalyste Jung. Le fait que tous ces hommes se trouvent à la périphérie d’un organigramme dont Gusto Gräser est au centre laisse penser à l'existence de ce que nous pouvons appeler un "réseau" en langage moderne..

Une dernière question se pose, C.G.Jung était il impliqué dans le projet "The Bridge" et son concept de "Puer Aeternus" ?



28 novembre 2006

Un roman en allemand sur Monte Verita
























Jakob und der Berg der Wahrheit
:
Un roman(2005) en allemand de Samir Girgis sur la colonie Monte Verita d'Ascona fondée en 1900. Le lieu ou Gusto Gräser s'est construit... Encore du travail pour les éditeurs français et les traducteurs. On leur mâche le travail. .."Les porcs tombent tous cuits", il le leur reste plus qu'à payer les droits. Allez au boulot !


27 novembre 2006

Document exceptionnel : photo de la croisade des enfants de 1920












Voici un document exceptionnel, une photo de la croisade des enfants de Muck-Lamberti -neue Schar 1920- qui se trouve dans la collection du Musée Leuchtenburg (Thuringe) près de Jena. Il s'agit d'une danse telle que Hermann Hesse pouvait la décrire dans son "Voyage en Orient".

Les soirées d'Alfred Reynolds évoquées par Colin Wilson

Au début des années 1950 l'écrivain Colin Wilson vivait comme un vagabond en dormant dans un sac de couchage à Hampstead Heath puis passait ses journées à lire Rabelais, Blake et le Baghavad Gita au British museum . Il rencontre ceux que l’on appelaient alors les « bohémiens », un cercle de poètes et de poseurs, hâbleurs et violents qui fréquentaient les pubs, ainsi qu’Alfred Reynolds et son organisation « The Bridge ». Dans un livre aujourd’hui introuvable « Memoir of the Fifties », Wilson décrit les soirées avec Reynolds et sa culture « métaphysique d’Europe centrale ». Un extrait du livre de Wilson est cité dans l’article : Literature and Literacy: The Decline of Reading and the Stultification of Student Prose de Thomas F. Bertonneau :


“I felt instantly at home... The shelves were full of Kafka, Mann, and Hesse, although some of the volumes that interested me most were in German or Hungarian. There were books on comparative religion, and a copy of Ballou’s Bible of the World. Another case was full of record albums (all 78’s; these were the days before LPs became popular)—I noticed some Beethoven quartets and the Mahler fourth symphony (the only one I knew). (The Bi-Cameral Critic 259)”

25 novembre 2006

Le voyage en Orient (1932) de Hermann Hesse



















Le roman de Hermann Hesse
dont le personnage principal "Leo" le vagabond, n'est autre que Gusto Gräser. Le graphiste n'a pas oublié d'inclure le symbole du Tao sur la couverture. "Le voyage en Orient "raconte les pérégrinations d'un groupes de jeunes wanderwogels à travers l'Europe et l'éclatement du groupe à la disparition du mystérieux Léo...


















Le roman de Hesse est inspiré par le voyage de la neue schar , un groupe de jeunes gens dirigé par Friederich Muck-Lamberty (le Messie de Thuringe),
qui traversaient la Thuringe en 1920. Muck-Lamberty était un disciple de Gräser. Les membres de la neue schar portaient des bannières avec des slogans de Gusto Gräser d'ou cette couverture originale du "Voyage en Orient" de 1932 avec un homme escaladant un escalier avec un drapeau...














Une belle couverture japonaise du "Voyage en Orient".

















Une couverture assez inquiétante, et certainement la meilleure. Celle de l'édition américaine de "Journey to the East". Pour la petite histoire c'est Henry Miller qui avait convaincu un éditeur de publier Hermann Hesse aux USA ou il était inconnu malgré son prix Nobel. C'est donc par l'intermédiaire de Henry Miller que l'oeuvre de Hesse est découverte par la Beat Generation américaine, qui réinvente le personnage du vagabond à la Gusto Gräser dans les années 1950.

24 novembre 2006

Entre ces deux photos (1945 et 1978) il y a Le Pont (The Bridge)
























Ces jeunes gens de 1978 qui dansent autour d'un arbre, étaient bien incapables de connaitre par eux même un personnage aussi obscur que Gusto Gräser... Ce qui s'est passé entre ces deux photos constitue une histoire "grise" qui ne peut pas plaire à tout le monde, c'est évident... Imaginer d'anciens nazis " dénazifiés" par une organisation anarchiste anglaise ( The Bridge), et qui se transforment en "écologistes" pour raviver en 1978 une cérémonie "labanesque" à la gloire du roi des vagabonds... J'imagine qu'une telle filiation peut éventuellement conduire à une récupération politique et embarrasser les mouvements écologistes modernes. Ce n'est pas mon problème et je ne porte aucun jugement. Comme pourrait le dire Gräser, c'est le Tao, et vous pouvez en faire ce que vous voulez. Qu'elle importance ?

23 novembre 2006

Colin Wilson, Gusto Gräser et l'organisation " The Bridge"

1955- Das Brieflein Wunderbar entsteht. - Colin Wilson, Gräser-Schüler der zweiten Generation, veröffentlicht sein 'Outsider'-Buch, das zum Anstoß für die Hesse-Renaissance in den angelsächsischen Ländern wird.

Cet extrait du livre de Hermann Müller « Der Ditcher und Sein Guru »Le poète et son Guru » (Wetzlar 1978) donne une information que l’on ne retrouve nulle part dans les éléments biographiques sur l’écrivain Colin Wilson : c’est à dire sa rencontre avec Gusto Gräser, et sa qualité de « disciple » de la seconde génération avant la publication de son livre « The Outsider ( l’Homme en Dehors) en 1956.

Nous savons cependant qu’en 1950, le jeune Colin Wilson s’intéresse aux philosophies orientales et pratique la méditation et qu’en été 1950, il se rend en France et se lie d’amitié avec Raymond Duncan.

Or, Raymond Duncan (1874-1966) était un personnage énigmatique. Millionnaire américain né à San Francisco. Frère de la danseuse Isadora Duncan. Il était peintre, acteur, sculpteur, artisan, poète et galeriste. Amoureux de la Grèce antique, ll avait établi une colonie “grecque” à Berlin en 1908, puis une autre à Athènes. Il exposa ses oeuvres au Salon des Artistes Indépendants à Paris ou il vivait depuis de longues années après avoir quitté Londres. Il y fut surtout connu comme décorateur. Il avait créé à Paris, rue de Seine, l’Akademia Duncan, un atelier artistique de tissage et de broderies ou il y donnait des conférences sur la manière de revenir aux sources de l’hellénisme à l’époque moderne. Il se promenait vêtu d’une toge romaine dans les rues parisiennes.


Dans le livre de l’universitaire américain Martin Green “ Mountain of Truth” (1986) Nous apprenons que Gusto Gräser, dès 1900, se rend à Paris pour rencontrer Raymond Duncan. ( src; Martin Green pages 56 et 130).

La connection entre Gräser et Duncan est donc établie de manière formelle.

Colin Wilson ne restera que quelques semaines a l’Akademia avant de partir à bicyclette vers “l’Est”... Il rentrera six mois plus tard...

Il est vraisemblable qu’il se rend à Munich car Colin Wilson était membre d’une organisation anarchiste appelée “The Bridge” (Le Pont) dirigée par “Alfred Reynolds” et ayant la particularité d’être composée d’ex prisonniers de guerre nazis.

Il faut rappeler que Colin Wilson était membre d’un groupe de jeunes auteurs rebelles existentialistes appelés les Angry Young Men ( jeunes hommes en colère) et que la philosophie de l’actionnisme formulée par Raymond Duncan, conduisait inévitablement à s’impliquer dans des mouvements anarcho-révolutionnaires de l’époque.

Mes recherches m’ont données quelques informations sur The Bridge. Ainsi , Antoni Diller, dans un article du 29 September 2003 : Holroyd in London, raconte comment Reynolds recrutait des jeunes hommes dans les pubs londoniens, et l’amitié qui lia l’écrivain de 19 ans Stuart Holroyd avec le chef de « The Bridge ».

« This Hungarianemigre, whose name was Afred Reynolds was a civil servant, but during the Second World War he had served as an officer in the British army. His job was to break the hold of Nazi ideology on the minds of captured German soldiers. He was extremely successful at this, using a Socratic rather than a didactic method, and after the war he maintained contact withseveral of the Germans who had been liberated from fascism under his guidance. These people formed the nucleus of an informal movement called The Bridge »

Il s’agissait donc d’une organisation anarchiste dont l’objectif était de dénazifier d’anciens nazis par une méthode « socratique » pour en faire des hommes nouveaux...

D’une certaine manière, on peut aujourd’hui considérer l’organisation de Reynolds comme une « filière d’évasion morale »...(nous ne savons pas si l'évasion "physique était envisagée ?) Le projet peut donc paraître totalement absurde et « immoral » mais nous devons admettre que cette expérience à effectivement été entreprise dans les années 1950.

Martin Green donne très peu d’informations et de détails sur la fin de vie de Gräser, il existe cependant de nombreuses photographies dont une ou l’on aperçoit une jeune femme à côté de lui. Le fait que Gräser ait été photographié jusqu’à un age avancé, et que les photos aient été conservées puis classées, montre qu’une organisation... et peut être « The Bridge » s’est effectivement occupée du vieux philosophe. (le mythe d'un Gräser mort seul et abandonné ne tient plus ...)

L’idée même d’une organisation anarchiste secrète et « socratique » de dénazification ne pouvait que plaire a un homme comme Gräser qui avait accompagné tous les mouvements anarchistes de reforme de la vie ( lebensreform) depuis 1900. Pour des ex-nazis, un tel personnage était de toute façon une légende vivante du mouvement wanderwogel et l’organisation de Reynolds avait besoin d’un homme comme Gräser qui n’avait jamais abdiqué devant le régime hitlérien.

Quand les nazis prirent le pouvoir, Gusto Gräser entra dans la clandestinité, ainsi entre 1935 et 1940, il vécu apparemment à Berlin dans une maison flottante. Pendant toute cette période, il y a bien un mystère Gräser, même les efforts à long terme de Hermann, Müller n’ont pas réussi à découvrir l’activité de Gräser de 1935 à 1945. Dix années de clandestinité sans papiers officiels, puisqu’il était “hongrois”, vagabond, interdit d’écrire, vraisemblablement recherché, il était presque impossible pour un homme seul de survivre dix ans dans l’Allemagne nazie sans bénéficier d’un réseau de soutien. Quelques éléments dévoilés par Martin Green nous montrent que le réseau Gräser s’étendait de Berlin à Leipzig jusqu’à Halle et Munich.

Deux éléments viennent recouper mes hypothèses : Colin Wilson était bien membre de The Bridge et il a rencontré Gräser en tant que « disciple ».

Le témoignage de Hermann Müller sur le cercle de jeunes hommes et de femmes qui s’était formé autour du vieux vagabond au début des années 1950 est fondamental, puisque Müller faisait parti de ce cercle et qu’il est donc un témoin direct, et c’est Müller lui même qui dévoile l’appartenance de Colin Wilson au cercle de Gräser.

Nous savons aussi, qu’à la parution du livre de Colin Wilson, « The Outsider » en 1956, celui ci est exclu du mouvement de Reynolds. La raison en reste obscure mais doit certainement être liée aux enseignements de l’organisation The Bridge, récupérés sous forme de philosophie existentialiste par le jeune écrivain.

Les conclusions de cette histoire secrète et ses implications sont nombreuses et on peut d’ailleurs légitimement se poser la question de savoir si ce ne sont pas finalement les nazis repentis de » The Bridge » qui ont formé l’ossature du mouvement vert allemand... La question reste ouverte. .. Quoiqu’il en soi, une photo prise en 1978 montre un groupe de plusieurs centaines d’écologistes, exécutant une danse de groupe autour de l’arbre de Gräser à Ascona dans le Tessin...

21 novembre 2006

Le retour de Jacques Beauregard !























Depuis quelques temps j'ai été surpris de voir réapparaitre sur le web la figure légendaire de "Jacques Beauregard" le héros de
"Mon nom et personne ", le film de Tonino Valeri sur un scénario de Sergio Leone. C'est en fouillant dans de vieux papiers jaunis chez un brocanteur de la rue de Charonne(75020) que je suis tombé sur un journal écrit en Français par un certain Jacques Toutant Beauregard. Je soumets à votre curiosité cet étrange document qui tend à prouver que Sergio Leone s'est basé sur des personnages historiques pour brosser sa vision de l'ouest américain... (extrait) :


Louisiane

1899

Nouvelle-Orléans


J’observe la Nouvelle-Orléans par le cercle de cuivre du hublot. La ville paraît basculer autour de l’axe d’un canon rayé. La frontière s’éloigne et au sommet déclinant de ma vie, j’entame le voyage à rebours de l’Ouest vers l’Est. Le vent du large vient de faiblir. J’aperçois pourtant des risées discrètes, des lignes occultes qui dessinent des pentacles sur le miroir de l’eau comme si une puissance en devenir attendait le moment propice pour tracer le méridien de cet exil qui va m’emporter. Il me semble que je suis mort depuis trois jours et que j’ai enfin trouvé la paix. Ci-gît Jacques Toutant Beauregard, né en 1848, fils du Général confédéré Pierre Gustave Toutant Beauregard, le Napoléon gris du sud, héros de Bull Run, Manassas et Petersburg. J’ai moi aussi fini par me faire un nom tel un brelan d’As sur une table de poker. Beauregard, légende de l’Ouest, gunfighter patenté de la frontière. Et puis, par dépit d’avoir été trop chanceux, redevenir anonyme lorsque sa vie ne tient plus qu’à fil. Pantin dérisoire aux cheveux gris qui rêve aux derniers sacrements. La mer d’ébène est aussi un voilage de soie noire troublé par un vent irrégulier, léger ou violent, gonflant les voiles aux dessus des abysses mystérieux de ma vie. Au fond, nous autres de l’ancienne génération, étions des figures romantiques perdues sur les pistes vierges de l’Ouest. Notre patrie n’avait qu’un nom, la frontière, fil du rasoir de nos vies dangereuses ou l’on n’y rencontrait jamais deux fois la même personne. Nous avions cru à l’immortalité de notre jeunesse jusqu’au jour où la poussière s’est incrustée entre nos rides, et que les hordes nomades des temps nouveaux sont arrivées, affamées et grouillantes. Le pays avait changé, et nos rangs étaient peuplés de fantômes. La violence aussi avait changée, elle s’était organisée dans les bureaux lambrissés de Washington ou règne l’homme de l’ombre, imparable et sans pitié. Non, je ne reconnais plus le pays, et les vers de mirliton de Black Bart ne viendront plus égayer les attaques de diligences : Et l’éternelle peine.../Advienne que pourra, je m’y ferai/Ma condition ne pourrait être pire/Et si le coffre contient de l’argent/Dans ma bourse je le glisserais.


Le Sundown est un trois-mâts élégant à la coque peinte en blanc. Les grandes voiles carrées ont été déployées ainsi que les voiles d’étai et les focs. L’étrave du navire fend l’océan et s’avance irrémédiablement dans le golf du Mexique pour rejoindre les vents favorables de l’Atlantique qui nous pousseront vers les Açores. Cinq cents dollars, un simple billet transatlantique pour fuir mon passé, mais peut-on fuir sa propre vie ? Je ne peux toujours pas m’empêcher de regarder derrière moi, mais il n’y a rien d’autre que le sillage du navire et le chant de mort inaudible d’un vieux chef indien. Sur le pont, les matelots s’affairent, il s’agit d’un équipage cosmopolite composé de Noirs du Mississippi et des Caraïbes, de Norvégiens, de Philippins et de métis d’Indiens et de Portugais de Provincetown. Le capitaine Symmonds est originaire de l’île de Nantuket, c’est un grand gaillard d’une cinquantaine d’années avec des yeux bleus délavés, arborant un collier de barbe blanche, et affublé d’un nez trop petit pour son visage. Il est issu d’une lignée de marins et de pêcheurs de baleines et autres écumeurs des mers plus ou moins fréquentables. Il s’adresse à son équipage dans leurs propres langues, jamais en anglais, préférant le tagalog, le norvégien et le portugais et parlant le français avec les Noirs. Depuis que nous sommes en haute mer, il me semble qu’une loi étrange gouverne le navire comme si nous étions en dehors de l’humanité, et que cet équipage s’appliquait à lui même des lois qui avaient jadis réglé la vie des héros sauvages de la Grèce archaïque. Le capitaine Symmonds s’approcha de moi, sous l’Océan, me dit-il, se cache un fleuve, monsieur Beauregard. Le golfe du Mexique n’est rien d’autre que la main d’un géant qui trace le sillon d’un fleuve gigantesque entre le Mexique et les glaces de l’Arctique. Observez donc ces algues qui flottent à la surface de l’eau et qui semblent aspirées par une force invisible, elles suivent le même chemin que nous. Objets flottants, hommes et poissons, nous sommes tous dans l’ornière de ce destin qui file à plus de deux noeuds marins. Les rives de ce fleuve sont l’Océan lui-même, des berges d’eau glacées et vertes entre lesquelles coulent les méandres bleus et chauds du golfe du Mexique. Il n’existe pas de plus grand fleuve au monde, ni l’Amazone, ni le Mississippi ne peuvent se comparer à lui, c’est un fleuve qui a la puissance de la vie et du temps. Je demandais alors au capitaine s’il était possible de s’éloigner de ce fleuve océanique ? Parfois cela est nécessaire, me répondit-il, mais nous courrons alors le risque de rester prisonnier de ce grand vide que les marins appellent le fucus natans, cette immense nappe d’herbes marines qui tourbillonnent au milieu de l’océan, enserré par le fleuve Atlantique, les courants équinoxiaux surgissant d’Afrique, et les tournoyant vents alizés. Vous entrez alors dans le Pot-au noir, le pays des pluies torrentielles, où faute de vent les voiles sont comme mortes et où les navires-fantômes dérivent pendant des années. Il existe un monde étrange et dangereux lorsque nous quittons les rives du fleuve, les baleiniers norvégiens connaissent bien ces territoires en dehors du destin, ce sont les Straums soës, Straums fiöder et les Straumness, un continent flottant de courants faits d’îles, de baies et de caps, de maelstroms et de Krakkens aux tentacules géantes qui surgissent des profondeurs. Le Capitaine me laissa seul. Je contemplais le poumon de la nuit, et il me sembla apercevoir les temps nouveaux transportés depuis les abysses par des nuages aux formes incertaines : dragons de Chine, révolutions lointaines, blast d’une guerre au parfum de poudre noire.

17 novembre 2006

Prix Wepler-La Poste, les huîtres, Gallimard et Babalon...

La Poste fait bien les choses. Le prix Wepler-la poste à été livré emballé à Pavel Hak pour Trans. Les huîtres, victimes d’une erreur judiciaire et d’un complot vraisemblablement ourdis par des gallinacés, étaient au rendez vous, et de sortie de zonzon, comme à Outreaux. « Je suis innocente » criaient-elles avant de finir dans les gosiers de la foule affamée. Le pire, c’est que depuis que des fantômes comme Rigaut, Gräser, Keller et toute la horde des zombies, hante la capitale française, les choses prennent une tournure inquiétante. Tenez, pour rentrer à la BN, il suffisait d’invoquer Babalon ! Accrochez vous, celle-ci est connue sous le nom de « la femme écarlate » ou de la « Mère des Abominations »... Ce n’est pas la réalité qui rejoint la fiction, mais plutôt le contraire. Imaginez un peu le fêtard pantouflard qui va téter quelques flûtes de champagne et qui tombe nez à nez sur Aleister Crowley. Il y a de quoi briser des vocations. Poliakov m’avertit soudain que les masques de la mort, de Kafka, Lautréamont et autres que portent les convives sont la preuve de l’existence d’une société secrète au sein de Gallimard. Regarde ! me dit il, les invitations sont triangulaires, si tu en réunis plusieurs... Et le voila qui dispose les cartons sur le sol formant un mystérieux sigil. Horreur ! Horreur ! Je vacille sous la révélation en apercevant le « Sceau de Babalon » ! Tirons nous de là ! me dit Poliakov. Je jette un dernier regard derrière moi et j’aperçois alors un altar recouvert d’un dais de velours noir sur lequel trône un inquiétant sphinx. Nous sommes dans une secte, dis-je. Cassons-nous avant que la Grande Mère des Abominations nous rattrape ». A peine avais-je terminé ma phrase que Poliakov s’était transformé en Speed racer dans une version parisienne de Scoubidou.

15 novembre 2006

"Jacques Rigaut est vivant !", le film de Jean-Luc Bitton









Dans la vacuité infinie des images numériques qui survolent le monde
et qui disparaissent dans le gouffre de l’Oblivion, il est inespérée de découvrir des images qui construisent le futur. Le film de Jean-Luc Bitton sur la tombe du dadaïste Jacques Rigaut, fait parti de ces objets hybrides entre le cinéma de Méliès et les bombes des sapeurs de l’Argonne. Telles ces taupes à la mélinite qui creusent leurs galeries, et qui vous explosent à la gueule un beau matin d’hiver.

Jean-Luc Bitton reprend les grands thèmes de l’hommage aux morts, mais en changeant insidieusement les codes préétablis. On pense irrémédiablement, au premier abord, au granguignolesque de François Mitterrand au Panthéon avec sa rose à la main cherchant désespérément la tombe de Jean Moulin... C’est cependant un changement révolutionnaire dans la perspective qui donne au « théâtre de guerre » de Jean Luc Bitton, une saveur d’amande fraîche qui a le culot de renvoyer aux calendes grecques les mises en scènes de l’ancien monde.

Il ne s’agit plus d’un film de propagande mais d’un FPS- First Person Shooter. Une rose à la main, à moins que ce ne soit le pistolet d’ordonnance du Lieutenant Rigaut. C’est une vision subjective qui s’oppose au grand Barnum de la société du spectacle. C’est aussi une mise en abîme de l’oeuvre de Sergio Leone, père spirituel du FPS. La référence à Mon nom est Personne est évidente. Jean-Luc Bitton est Jacques Beauregard. Il passe devant la tombe de Guy Debord, comme Beauregard passait devant la tombe de Sam Pekinpah. Première borne du temps. Les vielles idoles reposent, homonymes, clones perdus, vrai faux Debord devenu fantôme de son propre Kriegspiel.

Voilà enfin la tombe de Jacques Rigaut « Rosenkreuz ». Monolithe noir perdu dans le mouroir du monde. Est-ce une pyramide Maya recouverte par la jungle et les fientes blanches des engoulevents? Il faut gratter la surface, arracher la croûtes des vieilles blessures. Un peu de graisse de tortue retient la poussière d’or du nom de Jacques Rigaut.

Puis soudain le monde s’éveille. L’hommage aux morts se transforme en hommage au Vivant. Voici venu le temps des noces alchimiques de Jacques Rigaut. Les nettoyeurs de tranchées viennent passer leurs lingues sur la tombe boueuse.

La rose se perd dans le miroir d’ébène. Jacques Rigaut est vivant. Dead Rising. Le ciel à la couleur IKB. C’est le flash lumineux de l’explosion d’une sape. Jean Luc Bitton est Jacques Beauregard est Jacques Rigaut est...
Ce n’est pas un film, c’est une réaction en chaine.

08 novembre 2006

TAO de Gusto Gräser - traduction française subjective

Il n'existe pas de traductions françaises des rares oeuvres de Gusto Gräser qui nous sont parvenues. Interdit d'écrire sous le Troisième Reich, et sous la menace permanente d'une arrestation, Gräser se cachait chez quelques amis, dans les forêts et les abris bus. Il écrivait et détruisait aussitôt ses poèmes avant de reprendre la route par les sentiers des wanderwögels. Sans connaitre l'allemand, j'ai réalisé par curiosité une traduction française du premier poème de son TAO. C'est une traduction subjective,qui permet cependant d'avoir un aperçu de l'oeuvre de cet étrange poète vagabond dont l'influence sur la culture européenne est proportionnelle à son oubli...


TAO

-1-

Entends-tu ?
Rentre tes griffes. Détend-toi !
Fidèle et sereine comme le Thau
La Raison tombe au fond du puit
De cela nous avons conscience
Que le TAO soit le rempart de ta vie

Tu t'étonnes du mot incompris
Tu le repousse
Allez, laisse-le passer
Et le TAO t’élèvera comme il me porte
C’est le saint secret qui vit en nous.
C’est la vie au dedans et au dehors
Une aspiration, un chant silencieux
Mais ne prononce pas mon nom
Moi, qu’il a sauvé en offrande.
L’infini et le fini.
Honneur et obscurité. Une étoile de feu.
Tu dois descendre dans ses flammes.
Garde ! O garde le secret !
Tu lui dois la vie
O toi !
Sois confiant et serein
Écoute !
Et tu guériras

Gusto Gräser (1916)


Traduction Tristan Ranx - 2006 -

07 novembre 2006

Outsider ( 1956 ) par Colin Wilson
















En faisant des recherches sur le poète vagabond Gusto Gräser (1879-1958), j’ai découvert que l’écrivain britannique Colin Wilson avait été l’élève de ce dernier. C’est en 1956, âgé de 25 ans que Colin Wilson publie un livre qui expose à sa manière la philosophie de Gräser. Il s’agit de « Outsider », ou il explore les concepts d’aliénation et de créativité, et de leur influence « souterraine » sur le monde à travers les oeuvres de :H. G. Wells ,Franz Kafka, Albert Camus, Jean-Paul Sartre, T. S. Eliot, Ernest Hemingway, Harley Granville-Barker , Herman Hesse, T. E. Lawrence, Vincent Van Gogh, Vaslav Nijinsky, George Bernard Shaw, William Blake, Friedrich Nietzsche, et Fyodor Dostoevsky

Le livre de Colin Wilson a fait redécouvrir aux pays anglo-saxons l’oeuvre d’Hermann Hesse, qui fut le disciple de Gusto Gräser au début des années 1900, au point que la plupart des personnages vagabonds de Hesse, sont inspirés de Gusto Gräser. La Beat Generation s’inspirera en grande partie de Hesse, et le Loup des Steppes, deviendra même la bible de la contre culture des années 1960.

Comme d’habitude, aucun éditeur français ne s’est donné la peine de traduire l’ouvrage de Colin Wilson... Mais amazon.fr est une mine d’or...

01 novembre 2006

Cravan, le crucifié du XXe siècle



























Il serait tentant de faire de la vie d'Arthur Cravan
, une biographie à la manière d'une vie d'Henri IV. Quadrature du cercle, Cravan ne rentre dans aucun tiroir, et surtout pas dans celui du biographe. Ne serait-ce que son grand corps de plus de deux mètres, aucune civilisation ne serait capable de lui confectionner un sarcophage, sauf peut être les constructeurs de mégalithes... Faire le portrait de la famille de Cravan? celui-ci s'en est déjà chargé, "Mon crétin de frère", quant à sa mère, Cravan lui-même doutait qu'il puisse en avoir une. Un père? Il en avait bien un, choisit par ses soins et qui faisait aussi office de mère: Oscar wilde.Qui peut se targuer d'être le neveu d'Oscar Wilde? Personne, sinon Cravan, qui loin d'être écrasé par cette stature, s'en servait comme d'un gourdin. Oscar Wilde, prince des aphorismes et dandy foudroyé, avait un fils illégitime: un géant nommé Cravan, une parole vengeresse issue de l'exil. La revanche d'Oscar Wilde, c'est Cravan. Celui qui sera tout ce qu'il ne put jamais être, lui le délicat Oscar Wilde: Cravan la brute. Mais quelle brute!" A wild(e) beast".Cravan n'a pas d'enfance. Il surgit, formé par quelque mauvais démiurge. Il n'a pas d'âge sinon cette monstrueuse prémonition, "J'avais dix-sept ans et j'étais villa.". "L'age n'est rien" disait Raymond Radiguet... Entre villa et cigare, la vie de Cravan se consume en dehors de toute temporalité. Pirate des arts et des lettres. Des arts pugilistes et des lettres assassines, faut-il préciser. Cravan a appris la poésie en boxant. Ne riez pas, les dandys connaissaient le Bushido du XIXe siècle! "Milord l'arsouille" n'en était pas moins dandy. C'est "la gifle et le coup de poing "ou l'art de la modernité des Futuristes. Il va sans dire que la gifle est délicatement poétique, elle réveille les joues et les lettres. Quant au coup de poing, il fait taire les fâcheux, et les rend presque élégants. L'oeil au beurre noir, ce monocle des futuristes, à le don de transformer le bourgeois en gladiateur nihiliste. Il faut réveiller les lignes droites. Le mouvement, toujours le mouvement. Conduire une Bugatti. S'écraser dans un fossé. Il y a du Futurisme dans Cravan comme il y a du cuir dans la boxe. Cravan n'est jamais disciple. Il améliore ses coups. Il possède ainsi le crochet futuriste comme le Haymaker Wildien. Les pirates peuvent-ils naître sur les rives du lac Léman ? En tout cas, si Cravan n'est jamais né, il surgit de l'élément aquatique de la même manière que Lancelot du lac. On le retrouve à l'assaut de la capitale française avec une poussette des quatres saisons. On voit tout de suite ce qu'il pense du temps...C'est que Cravan est un surfeur en équilibre sur l'aiguille des secondes. Dans la poussette, il y a quelques exemplaires de sa revue "Maintenant".Le château de sable prétentieux qu'il s'apprête à balayer, c'est le Salon des Indépendants de 1914, ou tout ce qui existe comme peintre à la mode, se retrouve en famille. Il faut dire qu'entre-temps, le poète boxeur avait rendu visite au grand Gide, soleil de la littérature Française. Vous aurez compris qu'une grande ombre comme Cravan ne peut souffrir le soleil. Le texte qu'il publia sur cette entrevue était l'équivalent d'une métamorphose d'un soleil en vers luisant. L'opération était loin d'être délicate. Imaginez seulement un individu qui utilise Oscar Wilde comme une massue. Ah! J'oubliais, "Oscar Wilde est vivant", titrait un numéro de "Maintenant". Quel mauvais Evangile diriez vous, mais ce Job-là, croyez-moi, n'était pas du même bois... Il est vivant et il n'est pas content. En réalité il s'appelle Cravan. Le texte qu'il vend à la criée devant le Salon des Indépendants est digne de la bombe à clous de l'anarchiste Vaillant. Ce Salon des Indépendants, il pourrait s'appeler "J'irais cracher sur vos toiles". Seul le peintre Van Dongen trouve grâce à ses yeux, il faut dire que l'artiste hollandais a le bon goût d'organiser des matches de boxe dans son atelier. Après s'être débarrassé de toutes les demies portions avec des phrases meurtrières, Cravan s'attaque vertement à Marie Laurencin pour mieux toucher l'amant de celle-ci: Apollinaire. Le coup est tellement bas qu'il en est absurde. Il "frappe" Apollinaire au ventre, ou semble-t-il, était tombé son cerveau. Le gros homme, et ce n'est pas rien de le dire, fut vertement outragé d'être désigné dans la revue du boxeur comme "le juif Appolinaire..." . N'étant point juif, il s'empressa d'envoyer ses témoins pour une rectification en règle. Le procès-verbal qui en résulta vaut toute la littérature française depuis 500 ans. Si Lautréamont avait pu le lire, il aurait sans doute écrit des contes pour enfants. Les huit jours de prison que Cravan fit pour insulte à madame Laurencin étaient l'équivalent inversé du crime sodomite d'Oscar Wilde. Cravan avait gaillardement promis de soulever les jupes de cette charmante jeune dame afin de la posséder comme un satyre Dionysiaque. Inutile de chercher de la délicatesse chez Cravan. Quand il enfonce un clou c'est avec une masse d'armes. C'est aussi à cette époque que Cravan invente le "prosopème", c'est-à-dire une forme de prose, qui, par ajouts successifs, imperceptiblement, dans le fond comme dans la forme, s'éloigne du sens, vagabonde entre rime et folie, afin que naisse une poésie unique et mutante. Cravan écrit "L'âme au XXe siècle, poète et boxeur", formidable "prosopoème" qui transcende le Siècle:"J'étais cigare et j'avais trente quatre ans" Il est courageux et méchant pensez-vous? Pourtant, quand la lâcheté s'impose Cravan est un grand couard. Vous serez particulièrement indulgent avec lui quand vous comprendrez qu'en 1914, c'est la guerre qui pointait son nez. L'énergumène avait oublié d'être naïf, ce qui était particulièrement rare a cette époque. Il déclara "Je serais très froissé d'être entraîné par un pays." Ne sachant pas vraiment s'il était britannique, suisse, ou français, il préféra chausser ses bottes de sept lieux, plutôt que de recevoir un petit matricule et un mètre carré de terre en Picardie. Il n'attend pas son reste et on le retrouve, dans le désordre, sur un paquebot transatlantique faisant la conversation à Trotsky, puis clochard à Central Park, auto-stoppeur déguisé en femme au Canada, et conférencier scandaleux à New York. En 1916 il est entraîneur de boxe au Real Club Maritimo de Barcelone. En quelques semaines il s'est créé un personnage de grand boxeur. La presse locale catalane ne jure que par Cravan, boxeur anglais. Pendant qu'on s'étripe au nord de l'Europe, Cravan ouvre un second front à lui tout seul en Espagne. En y réfléchissant, c'est de toute évidence l'opération militaire la plus sensée de toute cette guerre. A grand renfort de publicité et de Pesetas on invite le champion du monde noir, Jack Johnson, à venir disputer "le combat du siècle" à Barcelone. Il fallait y penser. Cravan l'a fait. C'est son chef-d'oeuvre. Il transforme le prosopoème en prosovie. Le combat dure six rounds de trois minutes. Cravan est envoyé au tapis au sixième round. K.-O. Contre toute logique, la gloire de Cravan est faite. Jamais les Dadaïstes et les Surréalistes qui admiraient Cravan, ne réussirent à réitérer le combat du siècle. Avec son épouse, Mina Loy, poète et archétype de la femme moderne, grande figure féminine de la Lost Generation, Cravan se rend au Mexique qu'il parcourt en tant que boxeur professionnel: golpeador.Prenant la mer, seul sur un petit voilier, Cravan disparaît à tout jamais quelque part dans le Pacifique en 1918.Arthur Cravan avait 32 ans:" J'étais cigare et j'avais trente-quatre ans"


"Neveu d'Oscar Wilde" c'est grâce à cette clef magique qu'Arthur Cravan s'introduisit dans le sanctuaire de la littérature française: l'appartement d'André Gide. "Je crois devoir vous déclarer tout de go que je préfère de beaucoup, par exemple, la boxe à la littérature." Le ton était donné, André Gide ne s'en remettra pas. Pris en tenaille par cet Hercule inquiétant doublé d'une pythie au verbe burlesque, le prosateur des Caves du Vatican n'était pas de taille. "Dans l'ensemble c¹est une toute petite nature," se moquera Cravan. Affublé d'un ancêtre mythique, Arthur Cravan surgissait comme un Barbare dans Rome. S'il ne tirait pas la barbe inexistante de Gide, il observait le front de l'écrivain comme on observe un plafond décati. " De petites feuilles de peaux(...)Il pèle". Le vieux Gide s'enfonçait dans l'obscurité de sa maison... La légende de Cravan allait naître. Tel Thésée pénétrant dans le dédale de la littérature, il faisait une entrée fracassante en abattant le Minotaure pelé. Le mot d'ordre était donné "Maintenant"... Ce jour-là, c'est toute la littérature qui connut sa nuit du 10 août. Cravan jetait à bas le dernier des privilèges, celui des scribes post-Gutenberg. L'art et la vie se diluaient dans le corps gigantesque de Cravan. C'était la naissance du prosopoème. Ce mélange de chair et de mots. "Une voiture de course est plus belle que la victoire de Samothrace" hurlait le futuriste Marinetti qui rêvait d'une fusion de la chair et de la machine. Cravan projette la littérature contre le corps. Il dénude la poésie pour la confronter à la barbarie du corps poétique: la boxe. Le ring de Cravan n'est pas celui de Wagner. Sa cathédrale n'est pas un théâtre bourgeois. C'est une ville portuaire frénétique, une foule hurlante des faubourgs. Les genres se mélangent, le nègre Jack Johnson sacré roi des poètes, et le délicat Oscar Wilde couronné roi des boxeurs. Avec Cravan, ce sont les Saturnales permanentes. Il veut travestir la poésie en boxe et les uppercuts en rime. C'est le Prosopoème qui annonce que l'âme du XXe siècle n'a pas de forme. C'est Protée qui terrasse la substance de Prométhée. "Je suis tout et toute chose..." affirmait Cravan ."Oscar Wilde est vivant" hurle Cravan aux passéistes. Il est vivant et il a franchi la porte du théâtre magique et a survécu comme l¹explorateur Walter Raleigh, à l'or des indiens Manaos. Le vieux Melmoth est revenu du voyage sans retour de Rimbaud. "Cravan est vivant!" Voilà le véritable cri de la revue MAINTENANT. C'est le Jolly Rogers de Cravan. Un cinglant Montjoie de la modernité. Ce n'est pas par hasard que le poète boxeur prend à l'abordage les galions pesants de la Kultur. Cravan se souvient de Raleigh, poète et corsaire, rêvant d'offrir l'Utopie en rime, aux pieds de la Reine. Cravan à sa Carthagène des Indes à piller, c'est "le Salon des Indépendants" ou il pourfend les contempteurs de l'huile sur la toile: "Cette vieille salope". Il pratique la critique artistique au sabre d'abordage. Quand Cravan se rend dans les temples de l'art, ce n'est pas pour prier, mais de la même manière que le poète Omar Khayyam se rendait à la mosquée:
Bien que je sois venu, très humble, à la mosquée
Par Dieu! Je n'y suis pas venu pour la prière
J'y suis venu pour y voler un tapis de prière
Que le péché use...et j'y suis retourné
Plusieurs fois.
—Le duel est interdit."J'accepte de me battre avec X, déclare Cravan, avec la condition formelle qu¹il y ait le cinématographe et je choisis comme arme la lance de Ulhan."
Cravan est un duelliste au fleuret encré:" Le grand sabre d'Appolinaire ne me fait pas peur."
Il a le style du routier. Il attaque bas. A la Jarnac:" Le juif Appolinaire..."
Il pare à la dague italienne,et contre-attaque à la Bergerac: "Apollinaire qui n'est point juif mais Catholique romain...",et touche..." Apollinaire a tout du tapir..." ,et touche" Arthur Cravan, muletier, rat d'hôtel(...) etc..."
Le portrait de Cravan se trouve ainsi esquissé, c'est un chef de bande. Une association de malfaiteurs. Cravan, c'est le "Hollandais volant" avec son équipage fantomatique: Wilde, Raleigh, Khayyam, Cyrano, Jack Johnson. Il vole sur les flots de la modernité et tire à boulets rouge sur les muses, " Je suis cigare et j¹ai trente-quatre ans."Missile pré surréaliste à logique floue, qui va se promener dans les vallons, avant de toucher sa cible."Le voleur" de George Darien disait: "Je fais un sale boulot mais j'ai une excuse, je le fais salement". Cravan attaque à visage découvert et quand il est vulgaire et injurieux, ce n'est jamais à moitié. Comme le voleur, Cravan a une excuse:" je ne veux pas me civiliser". Le conquistador Aguirre, lui aussi, ne voulait pas se civiliser: ni Dieu ni maître jusqu'au seuil de la mort...Quand au poète corsaire, Walter Raleigh, de retour d'Eldorado comme Aguirre, et décapité comme lui, la civilisation n'était que mensonge:
Va, mon âme, hôtesse du corps
Pars pour une ingrate mission;
Ne crains pas de toucher les meilleurs
La vérité sera ta caution.
Va, puisqu'il te faut mourir,
Dire au monde qu'il ment
On rêvera, peut être sans espoir, d'un film sur le personnage de Cravan. En attendant la réalisation de ce désir illicite,"Pandora and the flying dutchman" le film du producteur esthète Albert Lewin, avec ses références à Khayyam et Marinetti, peut servir d'erzatz de mythologie cravanesque... Il nous fait entrevoir ce ténébreux destin qui emporta Cravan vers la mer Azteque. Quel Commandeur, quelle malédiction s'empara du poète boxeur dans l'océan Pacifique en 1918? Cravan serait-il, avec son équipage fantôme, un "Hollandais volant" rescapé d'un éternel "maintenant".Le quatrain d'Omar Khayyam qui ponctue le film de Lewin nous fait frémir lorsque nous imaginons le poète seul sur son voilier voguant vers un horizon trop certain:
Dès le commencement fut écrit ce qui sera;
Infatigablement la plume écrit, sans souci
Du bien ni du mal
Le premier jour, elle a marqué ce qui sera...
Notre douleur et nos effort sont vains.
La mort du poète est poétique. Il disparaît dans la brume du nord comme le Dieu Quetzacoalt
Est-il mort qu'il reviendra d'entre les morts.
Est-il parti qu'il reviendra comme un messie millenariste.
Cravan est vivant !Vivant! Mais où ?Tula ou Thulée ?
Dans l'Utopie de Cravan, la Sparte moderne était bicéphale. Une double monarchie avec Oscar Wilde et Jack Jonhson en guise de rois. Cravan, bravache et téméraire, ne voulait se frotter qu'aux plus grands adversaires: Appolinaire, Gide, Cendrars, Jack Johnson."J'ai vécu à une époque où je pouvais avoir parfois l¹ivresse de penser que personne peut être n'était mon égal." Éternellement vaincu devant chaque sommet, Cravan est finalement vainqueur par opposition. Il se hisse aux deux piliers de l'Art et de la Vie: la Boxe et la Poésie. S'il ne peut vaincre individuellement chaque styliste sur sa colonne, aucun d'eux n'est capable de le suivre sur une autre dimension. Quand les poètes ne sont pas boxeurs, et vice versa, il n'y a qu'un seul vainqueur: Cravan.Il ne faut pas se tromper quand Cravan boxait, il rimait."Je voudrai bourrer mes gants de boxe avec des boucles de femmes" Quand Cravan écrivait des poèmes, c'étaient des coups de poings."J'étais fou d¹être boxeur en souriant à l'herbe."Jack Johnson ne sut jamais qu'il s'était battu avec un prosopoème, quant à Apollinaire il ne comprit jamais qu'il était monté sur un ring...L'âme de Cravan, "l'âme du vingtième siècle", s'est-elle même crucifiée aux deux extrémités de la modernité. Et le corps gigantesque de Cravan, tel un géant du Vahalla, s'est allongé sur le monde jusqu'à disparaître à nos yeux. Escroc ou messie? Les deux, vraisemblablement... Cravan ne cesse de revenir nous hanter:Vivit et non vivit"