27 janvier 2007

Le cabinet d‘écriture curieuse #1










Voici la première partie d'une série de réflexions sur l'art d'écrire au XXI e siècle.


#SUCCESSIBLE#

(qui est apte à recueillir une succession...)


Les nouveaux écrivains ne sont pas successibles des écrivains de l’ancienne génération. Pour nous (sommes-nous nombreux ?) l’héritage littéraire n’existe pas puisque les écrivains à l’ancienne, qui sont assis dans un mandarinat institutionnel, sont encore des écrivains aux petits cahiers et aux stylos. Parmi ceux ci citons tout d’abord deux figures tutélaires : Sollers, ce phasme de la littérature, et le pétillant D’Ormesson, prince (de bonne foi) de l’auto plagiat. N’oublions pas BHL, Déon, Poivre D ‘Arvor et tant d’autres, talentueux ou pas, parfois médiocres, et souvent beaux parleurs. Or, le monde à changé et les techniques d’écriture elles mêmes se sont trouvées bouleversées par le « traitement de texte », un outil formidable que l’on peut utiliser comme une machine à faire de gros pâtés indigestes, ou au contraire, ciseler les phrases et assembler les blocs afin d’inventer sa propre musique. C’est un fait que le TdT ne favorise aucunement le flot délicat d’un premier jet. Le passage de la plume au clavier induit une différence de « volume »... L’écrivain à l’ancienne siffle comme un pinson, croasse, fait le pétomane, déclame sa verve tel un torrent limpide ou impétueux. Le nouvel écrivain, au contraire, se confronte à la masse informe du granit. Il peut bien sûr s’évertuer à multiplier les poinçons avec une obstination bornée et pavlovienne. C’est généralement une chose absconse qui en ressort, et qui vient rapidement submerger les éditeurs d’une rillettes torrentielle. Croyez vous que tous les boulangers fassent du bon pain ? Non ! Pourtant les outils sont les mêmes, mais sur mille boulangers vous n’en trouverez que sept remarquables, deux exceptionnels, et le dernier sera un maitre d’excellence. Car il faut bien autre chose qu’un four pour créer un pain unique... Il faut bien autre chose qu’un TdT pour créer un texte singulier.

Certains textes que j’ai écrits auraient été impossibles à créer sans Internet, à moins de passer une vie entière dans une bibliothèque comme José Luis Borges. La somme de documentations et des précisions acquises avec la vitesse et la puissance du web sont phénoménales. Cette recherche fait partie du processus créatif ou il s’agit moins de balancer de belles phrases, que de discriminer et agencer les informations. C’est un travail laborieux qui ralenti paradoxalement l’écrivain. C’est ainsi que l’écrivain à l’ancienne peut écrire très rapidement de nombreux ouvrages grâce à ses petits cahiers, et à ses étudiants chargés de lui fournir des fiches de lectures sur une documentation précise. Leur manuscrit ( a mano) sera ensuite transformé en tapuscrit par un étudiant et envoyé aux meilleurs correcteurs de France... L’écrivain à l’ancienne, contrairement aux idées reçues, travaille donc à la chaîne, s’appuyant sur une force de travail servile et des spécialistes de l’édition. Le résultat est souvent aussi honnête qu’une bonne cuisine bourgeoise. Le nouvel écrivain, lui, est un artisan, un trappeur des autoroutes de l’information, un vagabond solitaire à la recherche de mines cachées. Il ne peut s’appuyer que sur lui même, errant au petit bonheur la chance entre correcteurs orthographiques, coquilles, et ces nombreux prurits que ne connait pas un D’Ormesson.

Et puis l’écrivain moderne ne publie pas de livres, ou si peu, puisqu’il sait d’avance l’inutilité d’une telle dépense d’énergie. L’objet livre n’est pas successible aux nouveaux écrivains. Il est une possibilité pas une nécessité... Un blog comme celui ci, modeste et anonyme, compte près de vingt mille visiteurs, pas vingt mille lecteurs très certainement... Mais combien de livres sont feuilleté par vingt mille personnes ?

Les nouveaux écrivains sont donc des écrivains bloggeurs. Et un blog, c’est bien plus qu’une feuille d’écriture, c’est un laboratoire d’écriture curieuse, un endroit ou il est possible d’expérimenter, de travailler le granit, et d’explorer des domaines inédits. Le blog peut (et doit) être utilisé comme une salle d’entraînement, un dojo d’écriture, un lieu de liberté afin de toujours surprendre celui qui est venu et qui a vu. L’écrivain bloggeur doit donc s’appuyer sur un drill qu’il s’applique à lui même, faisant preuve d’un courage et d’une responsabilité devant sa propre écriture, chose que ne possèdent pas les écrivains à l’ancienne. Et nous aussi, les nouveaux écrivains, nous utilisons parfois des petits cahiers et des stylos...

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Tout d’abord, c’est un texte que j’ai eu beaucoup de plaisir à lire et que je trouve très intéressant à plus d’un titre (d’ailleurs j’aime beaucoup de le titre – Cabinet de Curiosités – coïncidence ?).

Par exemple :

Tu parles des nouveaux écrivains qui utilisent le traitement de texte, les énormes possibilités de la Toile Mondiale et se servent d’un « journal de verre ».
En outre, précise-tu, ils ne publient pas ou très peu.

Mais qu’est-ce qu’un écrivain ?
Est-ce quelqu’un qui écrit, tout simplement ?
Est-ce quelqu’un qui écrit pour les autres, sous-entendu pour être lu ?
Est-ce quelqu’un qui a publié un livre et, non seulement publié mais dans une maison d’édition ayant pignon sur rue ?
Ne faut-il pas avoir publié plusieurs livres, avoir été « anobli » par la critique ?
Peut-on s’auto proclamer écrivain ?

…..

…..

Tu cites Borges et je « m’en félicite ».
Je n’ai pas osé en parler avant, mais là je franchis le Rubicon.
Tes textes m’ont souvent fait penser à lui, non pas en terme de style mais plutôt par le sentiment qu’ils génèrent.
On sait (ou on croit savoir) que Borges a écrit de faux fragments de romans (qu’il attribue à d’autres que lui), des critiques de livres qui n’existent pas ( ?) et, en lisant tes récits, je me retrouve dans le même « no man’s land » que quand je lis Borges, un territoire à la lisière de la réalité et de la fiction et c’est une sensation très agréable et un véritable portail pour l’imagination.

Sinon tout à fait d’accord en ce qui concerne la perspective du dojo d’écriture.

Tristan Ranx a dit…

"le cabinet des curiosités"/ chambre des curiosités (sur ton site) est effectivement une coïncidence ! En fait je cherchais le livre

"Kuriositäten-Kabinett" de Emil Szittya , le fondateur de la revue "les hommes nouveaux" avec Cendrars

sans succès.

Mais je vais tâcher de répondre à toutes tes questions prochainement.

Cordialement

saihtaM a dit…

héhé, vive la "success-ibilité" ;)