31 mai 2007

Le jour où j’ai rencontré le Clou et le Saint Graal au Canard Enchaîné !



Je me promenais sur le boulevard Saint Germain. Mon idée était de me rendre au café des deux magots, afin d’y enquêter sur le mystérieux écrivain Emil Szittya qui y travailla après la seconde guerre mondiale. Sur mon chemin, au niveau du 217, la maison de l’Amérique Latine, pour être précis, j’aperçois une petite foule d’endimanchés du mercredi, qui s’engouffre allègrement vers le vestibule. Mu par un désir de me fondre dans la foule en liesse je m’avance confiant avant d’être stoppé net par un individu extraordinaire, vêtu d’une vénérable queue de pie, d’un gilet de couleur porte de prison, certainement de chaussettes noires et d’un invraisemblable collier en or constitué d’un assemblage de petit carrés assez moches, mais qui en imposent au tout venant. J’ai affaire à l’élite de la corporation des huissiers, un gardien du seuil, un charron républicain. L’homme est un roc, un colosse de raison, un chevalier du Ni-Ni, un commandeur terrifiant. Barbare des confins, ma belle prestance s’écrase contre le Lime, la ligne Maginot, et la ligne Siegfried qui enserre l’hôtel particulier. Je vacille, je recule. Je n’ai aucun lapin à sacrifier aux dieux des forets, pas même une Rolex à balancer à un gros dieu chinois... Je poursuis alors mon chemin d’un vigoureux pas de gymnastique, confiant, déjà amnésique, lorsque soudain, en face de moi, d’un égal pas de gymnastique, mais du style Colombo en imper, le Clou, en personne, qui s’avance en une chorégraphie ou deux vies se télescopent. Je ne sais quel dieu j’ai invoqué, peut être Crom, le dieu des Cimmériens, mais en tout cas, Dieu soit loué ! Moi qui suis d’un naturel plutôt réservé, miracle, je me précipite sans vergogne sur le Clou, comme de la vérole sur le bas clergé.

- Bonjour le Clou !

- Bonjour ? ( il me sers la main) Je vous connais ?

- Je vous ai vu au Zenith...dis-je

- Au Zenith... Modem !

- Oui Modem, c’est ça.

- C’est formidable

- Epatant n’est-ce pas ? Je dois vous avouer que vous étiez le plus incisif !

- Vous pensez ?

- Affirmatif. Vous avez bien enfoncé le clou avec votre métaphore sur la traversée du désert et l’oasis.

- C’est vrai, ça a bien marché.

- Il y avait aussi cette phrase sur un parti de notables...

- Ah oui « vous étiez un parti de notables, vous êtes un mouvement populaire ! »

- Formidable. Au fait, vous allez au Canard Enchaîné ?

- Oui

- Je peux venir avec vous ?

- Aucun problème, je vous fais rentrer.

Nous nous dirigeons en duplex d’un élastique pas de gymnastique sous les regards interrogateurs de cravates élimées.

- Je vous fais rentrer, me dit le Clou, mais une fois à l’intérieur, je ne m’occupe pas de vous.

- N’ayez aucun problème pour ça !

Nous voilà dans la place. Le commandeur me regarde d’un œil torve. Je ricane sous cape. Non le Clou n’a pas d’invitation...

- Je suis sur la liste, dit-il

Le préposé à la liste à un petit carnet informe écrit au stylo ( au canard enchaîné on ne laisse pas de traces informatiques sur les invités).

- Je m’appelle Le Clou

- Oui je sais...

Le préposé serait-il impertinent ?

- Je ne vous trouve pas dans la liste !

L'huissier commandeur au collier d'or intervient en me désignant.

-J'ai déjà vu ce monsieur, je ne l'ai pas laissé entrer !

-Mais bien sûr que vous l'avez vu, puisqu'il m'attendait ! rétorque le Clou jetant des regards de feu vers l’huissier. Ah ! C’est fâcheux si vous ne me trouvez pas sur la liste ! ajoute il d’une grosse voix. Alors qu’est-ce que je fais ? je m’en vais ou je rentre ?

Esclandre.

Le Clou est magnifique. Un acteur né. Un prince des passes murailles.

- Rajoutez-moi sur la liste... X2, s’il vous plaît ! ce Monsieur est avec moi, dit-il au préposé en me désignant. Ce dernier s’exécute illico devant le charisme fou du Clou.

Quel homme remarquable. Il n’oublie pas ses amis, même les éphémères. Quel exemple !

Par Crom ! Me voici à l’intérieur, récompensé de mon éprouvante mission au Zenith. Il faut savoir sortir des sentiers battus, du Zénith au Canard il n’y avait qu’un pas... Finalement ce n’est pas plus difficile que de traverser le pont des arts... Vous ne trouvez pas ?

Une fois à l’intérieur, me voici dans un une sorte d’appartement digne des liaisons dangereuses, mais avec une foule de bal des pompiers. Après avoir erré de salons en salon poussé par la houle humaine, j’attrape une flûte de champagne, et je musarde de long en large comme un péripatéticien de la Grèce antique, l’ouzo en moins.

C’est alors que je tombe sur le Saint Graal... Suis-je un initié, un chevalier à la gloire secrète ? Il est là, devant moi, pour de vrai, monstrueux, granitique, vert comme l’émeraude tombée du front de Lucifer. C’est une Fourme d’Ambert d’essence divine, le secret des Cathares posé au milieu des misérables fromageons. Cette Fourme de Parsifal a la dureté des roches de Brocéliande. Il faut la pourfendre à la hache, pour produire quelques éclats. Deux elfes aux bures blanches s’acharnent sur la pierre. On dit que le saint Graal contient le sang du Christ et comme par magie, sur ma droite, un verre de Mouton Cadet m’attend. Ce Graal est une hostie fromagère, elle se mange, dégageant un parfum de mythes et de légendes, de mousses et de fougères, ainsi que des accents minéraux venus des montagnes karstiques des âges anciens.

Les Chinois mangent de la corne de Rhinocéros, des couilles de taureaux et des gonades de Tigres pour rechercher la vie éternellement priapique, les conquistadors partirent jadis à la recherche de la fontaine de jouvence dans les terres séminoles de Floride. Tous sont morts, déçus, vieillards abandonnés, gouverneurs embastillés, aventuriers écorché vifs sur un lit de plantes urticantes à base de poison ivy...

Il m’a fallut faire un voyage de 30 ans pour mettre la main sur le Graal, cette Fourme d’Ambert magique, gardée par un commandeur au collier d’or. La voie du Clou fut la voie du Graal. Mais tout ceci n’est déjà plus qu’un souvenir. Suis-je le seul à l’avoir vu le Saint Graal ? Je sais pourtant qu’il ne reviendra plus... Alors, en sifflant sur un air de Boris Vian, je m’en vais sur le boulevard de Saturne :

« je ne voudrais pas crever sans voir les chiens noirs du Mexique, qui dorment sans rêver, les singes à culs nus, dévoreurs de tropiques. »

Nonchalamment, avec un morceau de Graal coincé entre les dents, je traverse à nouveau le pont des arts sous le soleil couchant.

La chemise de D'Annunzio























Voici une chemise en laine rouge de Gabriele D'Annunzio, avec l'inscription " Fiume". (par Franck D. Caro de New York.)

29 mai 2007

Femmes des années 1920
























Princesse Youssoupoff
























Loretta Young

25 mai 2007

Le MoDem, le Pâtre et le Clou

















Sur ma lancée, je poursuis mon exploration de la politique par le petit bout de la lorgnette. Je joue mon Marat acide jusqu’au boutiste et me voici à faire le pied de grue devant le Zenith. L’exercice est moins périlleux qu’exaspérant, par précaution, j’ai une canette de Heineken superzize. Je suis bien le seul à travailler la cervoise au corps, sous le soleil de plomb, c’est moins du luxe que de la survie. Les regards en coin en disent longs, les langues asséchées pendent lamentablement. Mais ma parole « ils veulent me la piquer ma bière ! ». Petite précision, je suis au meeting de fondation du MoDem. On dit que c’est ça l’histoire, moi je dis que parfois on est mieux au pub. J’imagine très bien ce garde rouge qui s’est gelé les couilles pendant la révolution d’octobre en se disant mais qu’est-ce que je fou là, c’est nul ! Avant de me faire le MoDem, j’ai suivi un entraînement d’unité d’élite dans une île. L’épreuve consistait à rester toute une nuit dans une discothèque de province – le Bouc... qui pue du bouc- sans boire une goutte d’alcool, avec, pour seule activité une dance de 30 secondes. Inutile de dire, qu'observer des naïades de 130 kilos secouer leur barbaque sur de la techno et de se noyer dans une foule éthylique en attendant le bout de la nuit, c’est vraiment commando... Me voici enfin dans l’étuve, cette grosse tente est vraiment une horreur, une réminiscence du languisme triomphant des années 1980. C’est moche mais c’est solide, ce truc défie l’éternité. Quelle horreur !

La foule commence à remplir la fosse, quelques belles têtes de Bronzés (font du ski) avec des T-shirt vieille garde UDF, des retraités échappés des asiles de vieux, quelque similis surfeurs, des piercings, des cheveux longs, des rien du tout. Rien que du classique avec ses relents de salle des fêtes, mais sans le champagne. Par contre, et le geste mérite d’être signalé on m’offre un joli T shirt orange. Ça c’est gentil !

Il y a quelques années, un article méchant de Libé présentait l’actuel chef du MoDem comme un mélange entre une « tête de veau » et un pâtre grec. L’image n’est pas fausse, mais pas totalement vraie non plus. Pour en savoir plus sur lui, je me place à 1 mètre de son petit oratorium. La tête de veau est là, mais c’est aussi une belle tête burinée, hâlée, avec des rides d’expression taillées à la serpe. Ce sont les oreilles qui bovinisent l’ensemble mais la structure osseuse est vraiment celle d’un pâtre grec. Je dirais même plus, c’est vraiment une tête de centaure. Le bas du corps est chevalin et on l’imagine sans peine, déshabillé de son costume informe, avec quatre pattes d’équidé. L’homme à des petits yeux noirs, brillants, roublards, comme ces vénérables paysans de nos campagnes. D’ailleurs, d’emblée, il inspire confiance, il a l’allure du bon samaritain des chansons de Brassens. On sent instinctivement qu’il vous offrira le gîte le couvert et qu’il vous fera passer en Espagne sans dire un mot et sans rien demander. C’est une forme de charisme, mais un charisme introverti, c’est sa force et sa faiblesse. Les militants semblent l’aimer pour ce qu’il est et non pour ce qu’il manifeste. Cette volonté bornée de se placer aux antipodes de toute hype, est paradoxalement la forme la plus aboutie de la hype.

Ici, au modem, on ne chauffe pas les salles, et avant l’arrivée du pâtre, la démonstration est didactique, chaloupant entre un show de téléréalité des alcooliques anonymes et une publicité pour lessive. Un panel de nouveaux militants est en brochette sur l'estrade. Ils viennent expliquer, à tour de rôle, pourquoi ils ont choisit le MoDem. Aucun cependant ne dit que le « MoDem le fait bander », mais ça doit certainement être sous entendu entre les lignes. Devant les déclarations de foi, je manque éclater de rire à plusieurs reprises. Pourtant, je prends intérêt à la chose, certains jeunes orateurs se laissent aller à dévoiler des zones de forces, des conflits et des contradictions latentes au cœur du mouvement. Je ne serai pas venu dans cette galère sans espérer traquer ces forces qui agitent plus ou moins la société française. C’est de cela qu’il s’agit. Les journalistes consciencieux qui sont au fond de la salle avec leurs petits carnets ne retranscrivent que les mots, l’écume des jours. J’ai moi aussi mon petit carnet et un stylo, mais à la différence de ces derniers, je suis dans la fosse, avec les photographes, la foule Modem dans le dos, la gueule du pâtre au dessus de moi. Et là, à la croisée d’ogive de cette architecture chaotique, je sens et je vois la scission fondamentale de ce Modem, le clivage effrayant entre la foule bigarré jeune et moins jeune de la fosse, et la vieille garde, centriste-réactionnaire des places assises. Il existe donc un ordre et des frontières non dites. Le slogan « Nous, c’est ( le pâtre) » renvoi en réalité à deux « Nous », celui qui veut naître et celui qui ne veut pas mourir... D’une manière purement anecdotique il y a ceux qui sont « modem à donf » et ceux qui sont « udf toujours »... Le grand rassemblement à du plomb dans l’aile dans son code génétique...

Revenons à nos moutons qui vantent le modem qui lave plus blanc que blanc. Entre rire et pitié quelques orateurs élèvent le débat à des hauteurs bolcheviks, ainsi, un jeune interne à la fière allure en appelle à la jeunesse conquérante et à la volonté de puissance. Le Modem, apparemment est secoué par des forces venus des âges ou Zarathoustra secouaient les montagnes. Une jolie franco-américaine, dit clairement qu’il faut « foutre le bordel ». Et nous voila avec un Hakim Bey sur le dos. Le mot rebelle revient souvent.

Mais voilà, la vieille garde veille, et ce que l’audace et la témérité balance à tout vents, les vieux censeurs régulateurs, viennent abaisser le niveau d’acidité en adossant systématiquement les mots résistance ou révolution avec « pacifique ». Nous voici dans le royaume de l’oxymore. C’est là que les choses se gâtent lorsque que les vieux tromblons du mouvement montent sur scène. Et voici voilà le florilège de vieilles varices et de surcharges pondérales, accompagnées d’un vieux fumet anti moderne du canal historique . Une mégère s’en prend alors à Youtube, à Bluetooth, aux téléphones portables, aux jeux et à internet. La fosse se retient, mais la rombière ne dégoise que pour sa paroisse de vieilles peaux, sans réaliser un seul instant que mille mains invisibles votent déjà pour sa mise à l’hospice. Pathétique.

Après ce passage à vide, voici le tour des people du mouvement. Tout d’abord un historien agréable incisif, celui qui en 2002 inventa ce superbe concept d’une « insurrection de l’intelligence ». Puis c’est le tour d’un journaliste célèbre, mais l’homme est d’un intérêt de basse fosse. Alors, à ma grande surprise, arrive le Clou ! L’apparition me sidère, et dérogeant à ma règle, je révèle que le Clou n’est autre que l’acteur Vincent Lindon. Ce qui me sidère n’est pas tant le visage du Clou, mais son charisme oratoire et cette facilité avec laquelle le Clou enfonce le clou en affirmant d’emblée « Vous étiez un mouvement de notables, vous êtes un mouvement populaire ! » En une phrase laconique, le Clou vient de désigner simplement les lignes de forces du Modem... Je suis décidemment trop baroque, mais bon je ne vais pas me mettre aux haïkus pour faire plaisir au Clou. L’acteur orateur, avec un sans gène aristocratique, en appelle soudain, à un échec aux législatives, c’est-a-dire à une remise à zéro du Modem... Le Clou se pose d’emblée comme le chef de file du grand formatage, et un partisan d’un parti insurrectionnel. L’idée est simple, en se débarrassant définitivement de ses derniers notables, en abandonnant la politique parlementaire, et en se recentrant sur un parti rénové, jeune, audacieux et qui agit dans la rue, le Clou espère bien construire une formidable machine de guerre nomade. L’ombre de Deleuze n’est pas loin...

Arrive alors le pâtre qui quitte son petit banc pour se placer derrière son pupitre. Comme je le disais plus haut, le charisme extraverti du pâtre est égal à celui d’un hamster. Ce n’est pas faute de potentialité cependant, l’homme est tout en violence contenue, l’autocontrôle est sa seconde nature. Il est arrivé, dans le passé que le pâtre sorte de sa réserve avec succès, mais sa volonté de se la jouer timoré oriental fini par lasser le plus patient paresseux. Maintenant qu’un Machiavel est au Zénith de la république, les règles changent, et ce n’est plus Mendes-France qu’il faut suivre, car les sentiers mous-mous ne conduisent qu’à la lassitude. Vous aimez la viande sans sel ? Moi je dis qu’il faut du Sorel dans la tête de veau. Le discours patenté du pâtre fait tellement chier, que la salle se vide comme un lavement. On attendra de voir ce qu’il reste de ce bidule après les législatives, quand le tassement alimentaire des vieux cons aura définitivement gerbé, et qu’il ne restera plus qu’une coquille vide que l’on pourra remplir avec ce que l’on veut. On aura tort de s’en priver... ce n’est pas tout les jours qu’on trouve un squat tout cuit pour faire joujou !


22 mai 2007

Au royaume des réprouvés

















Nanochevik
, après avoir été classé comme site "indésirable" par on ne sait quelle mystérieuse procédure, est revenu du royaume des réprouvés...


----------------------------------------------------

Hello,

Your blog has been reviewed, verified, and cleared for regular use so that
it will no longer appear as potential spam. If you sign out of Blogger and
sign back in again, you should be able to post as normal. Thanks for your
patience, and we apologize for any inconvenience this has caused.

Sincerely,
The Blogger Team

20 mai 2007

"Les mâchoires des lions" de Mina Loy, archétype de la femme moderne

Mina Loy, poète et épouse d’Arthur Cravan aura été la muse des futuristes italiens et par conséquent l’archétype de la femme moderne du début du XXe siècle. Femme libre, pratiquant une sexualité débarrassée de l’hypocrite morale bourgeoise, elle fera rêver aussi bien Marinetti, Apollinaire, Pacsin, Man Ray ou Marcel Duchamp, mais aussi les romancières Djuna Barnes et Nathalie Barney. Le pouvoir d’attraction érotique de sa personnalité étrange, son charisme désabusé avec une pointe de nostalgie cynique et satirique, provoquera les passions les plus folles. Un homme cependant, touchera profondément cette sirène bohème : Arthur Cravan, le poète boxeur, l’énergumène des arts. Elle le surnommera Colossus, du nom d’un roman inachevé (et certainement impossible) sur son époux disparu dans le Pacifique en 1918. Les poèmes de Mina Loy sont des joyaux de la modernité et le testament oublié d’une génération de grands fauves humains. La poésie de Mina Loy est un témoignage hautement ironique sur les rêves et les folies d’un temps situé dans une zone grise de l’histoire. Un monde de manifestes et d’Apocalypse que notre basse-époque ne cesse de vouloir annihiler et broyer dans ses mâchoires de basset. Ces hommes, comme l’écrit Mina, étaient des lions, et s’ils étaient ridicules parfois, c’est parce que ces grands enfants rêvaient le monde comme un château de sable à modeler. Ce poème intitulé Les mâchoires des lions, est un instantané d’une époque troublée lorsque l’Europe et plus particulièrement l’Italie se réveille groggy d’un calvaire de quatre années sous la mitraille et la boue des tranchées. Alors, dans la jungle urbaine de Milano, Roma ou Firenze, les Lions ouvrent leurs mâchoires et veulent dévorer le cadavre d’un monde passéiste qui refuse de mourir, ce monde mort-vivant (le nôtre...) transfusé par le sang anémié de vieillards aux noms de Wilson ou Clémenceau... C'est à travers le miroir déformant de la poésie de Mina Loy, que ces grands fauves poétiques deviennent les protagonistes de bouffonneries saturnales, et elle même n’échappe pas à sa propre ironie ou les nom-anagrammes renvoient à un dynamisme futuriste qui inverse les patronymes comme la vitesse déforme les images. Ainsi, sous les sobriquets de RAM et BAP, diminutifs de Raminetti et Bapini, nous retrouvons les futuristes Marinetti et Papini, chefs du mouvement Flabbergast (Futuriste...). Mais l’intérêt supérieur de ce poème tient à l’évocation de Danriel Gabrunzio... Gabriele D’Annunzio, le poète-soldat conquérant de Fiume, dont Mina Loy trace un portrait sans concessions mais étrangement tendre, comme si, dans les nuits de Fiume et la fête de la révolution, l’ombre de son poète-boxeur, Cravan-Colossus, continuait à danser sur la place Dante, sa chemise tachée par les palettes du peintre Delaunay ...

-------------------------------------------------------------

Les mâchoires des Lions

I.

Ô lointains de la Suave Péninsule
Cet amoureux automatique des oiseaux lyriques
Danriel Gabrunzio
Aux mélodieux magnolias
À la mise en scène parfumée
Où les névroses impotentes
Grimacent dans la poussière

L’archange de la nation
Aimait
Les comtesses
Dans un bain de tubéreuses
Les sens apaisés par l’orchestre
À l’hôtel Majestic Palace

Les sanglots...Depuis les halls psychopathiques
De son harem abandonné
Pourvoient à l’amusement des mondains

Comète conquérante
Balayant les bibliothèques continentales
Etoiles transmuées
Accusation d’alcôve
Et complaisance pommadée
Avec laquelle il entreprend des liaisons rococo
Tatouage-morsure d’une Elvire
Dans la chair de Marie

Et à midi, chaque jour
Des vierges nues chevauchent des mulets d’albâtre
Et reçoivent Danriel Gabrunzio
Venu d'Adriatique
Drapé dans une toge d'or
Marqué d'un Zodiac
En Rose chenille

2.

Le mépris des vielles idoles
Engendre de nouvelles écoles
Les compatriotes de Danriel Gabrunzio
Intriguent et inventent un nouveau protocole
La Myriade et l’Unique
Pour célébrer les amantes
Aux chairs changeantes

Jaloux, l’antique tonnerre
Des littérateurs latins
Rivalise avec la satieté de Gabrunzio
Manifeste explosif
Proclamant l’immédiate procréation féminine
De l’agamogénésis de l’homme

Assurance de l’intégrité spirituelle
Opposée aux courtisans carnivores
Manifeste du mouvement Flabbergast
Hurlement du chef Raminetti
Un éclair sans peur foudroie
Les modes et les débauches de Gabrunzio

Traçant sa route vers l’exception du cœur féminin
Sa gloire prudente
Demandant la trahison
De la déesse Mère
Capitulation sans condition
Au nom de la victoire

Raminetti
Fait claquer son fouet de maître de cérémonie
Chevauchant une locomotive prismatique
Fissurant l’autel des arts
Tel un représentant de commerce inquisiteur
Apportant les nouveautés de Paris dans ses poches
Cadeaux-souvenirs pour ses disciples
Pour qu’ils paradent
A son carnaval dynamique

Bapini l’érudit
Expérimentant un Baphomet auto hypnotique
Sur une montagne sacrée
Fonçant à la vitesse plastique de Raminetti
Arrachant la croûte de poussière livresque
Exaltant la nudité dangereuse
D’un guet-apens vermillon du Flabbergastisme
Il embrasse Raminetti
A pleine bouche oratoire
Préférant l’égotisme de lui même
En de gigantesques proportions
Tel une belle mère éclectique
Dans un mariage à demi-barbare

Académiquement chaperonnés
Les Flabbergasts
Sortent de l’obscurité
Abjurant leur croyance à la douceur de vivre
À l’opportunité féminine
Et Raminetti
Soucieux de suivre le sillage battant de Gabrunzio
Possède la mère et la fille
A l’exception de celles qui sautent du train
Au prochain arrêt...

Pendant ce temps, Bapini l’antagoniste
Publie un charmant commentaire
Sur l’art des femmes plombiers
Et la laideur comme élixir aphrodisiaque

Ces manœuvres et nouvelles manières passeront-elles inaperçues ?

Ces drôles de bonshommes
Qui découvrent dans leur boîte aux lettres
Ces multiples pétitions
Qui revendiquent l’enfantement du Flabbergastisme
Signées Nima Lyo, alias Anim Yol, alias Imna Oly
(Bouffon des services secrets de la Cause Féminine)

Tandis que le Flabbergastisme entre en ébullition
Quand RAM et BAP
Fuient leurs bruyantes et réciproques invectives
Alors cette conquêtes en Duplex
Revendique un certain succès
Contres les hardis résistants de Gabrunzio

3. Envoi

Raminetti, pour obstruction sur la voie publique
Est puni de petites peines de prison
Bapini est un poeple de Vanity Fair
Tout comme Imna Oly...
Je suis d’accord avec Mademoiselle Krar des pas perdus
Elle n’est pas vraiment une Dame !

Chevauchant le soleil couchant
DANRIEL GABRUNZIO
Corrige vertement
La crapuleuse précocité
De Raminetti et Bapini
Par l’oraison et le viol de Fiume

Et jette son œil perdu
Dans le giron tragique
De l’Italie

Mina Loy (1920)

Traduction : Tristan Ranx 2007

En savoir plus : Carolyn Burke talks to Pam Brown about Mina Loy


12 mai 2007

J'étais Steampunk...





























Par une sorte de trajet qui m'échappe
, je suis passé au cours des années, du "Steampunk" au "Post-surréalisme", et au nanochévisme ? Voici la liste polonaise de la littérature Steampunk... ( et un bien beau site)



CHRONOLOGIA STEAMPUNKU
· lista


ANNO 2000

Dla ciebie
- teledysk, wyk. Myslovitz [Krzysztof Pawłowski]
PL
Shanghai Noon [Tom Dey, Alfred Gough, Miles Millar], kontynuacja: Shanghai Knights [David Dobkin, Alfred Gough, Miles Millar, 2003]
Tonight's Performance - animacja [REZN8, część filmu IMAX Cyberworld 3D]
2586 kroków [Andrzej Pilipiuk], kontynuacja: Wieczorne dzwony [2004] PL
A vos Souhaits [Fabrice Colin] FR
Bilac Ve Estrelas [Ruy Castro] PT
Boilerplate - [Paul Guinan, online, na podst. niedokończonego komiksu]
Bouvard, Pecuchet et les Savants fous [Rene Reouven] FR
La cite entre les mondes [Francis Valery] FR
Falkenstein. Les douze cahiers de Enzo Cellini 1870-1886 [Tristan Ranx] FR
From the South Pole to the Somme - [Joseph T. Major, online]
The Grand Ellipse [Paula Volsky]
L'Inventeur de la vapronique [Bernard Majour] FR
La Lune seule le sait [Johan Heliot], kontynuacja: La Lune n'est pas pour nous [2004]. Spin-off: Trouver son coeur et tuer la bete [2002] FR
Une Porte sur l'ether [Laurent Genefort] FR
The Prophecy Machine [Neal Barrett, Jr., na podst. opowiadania The Lizard Shoppe, 1998], kontynuacja: The Treachery of Kings [2001]
Seventy-Two Letters [Ted Chiang]
etc...

07 mai 2007

Une satire : la petite France...

















J’ai vu la petite France sous le pont Alexandre III. J’ai vu l’espace étriqué du futur. J’ai vu comment l’homme qui voulait être roi, invitait ses militants comme des chiens. J’ai vu le mépris pour ces hommes et ces femmes qui ont été les petites mains de sa victoire. "Ce soir, mes amis, je vous invite à ma victoire, mais il faut payer... " Drôle d'invitation... J’ai alors vu ces vieilles baronnies de la France passéiste plastronner avec des bouteilles de champagne payées en peccadilles de Gold card. J’ai vu ces vieilles putes fardées à la bourgeoisie poussiéreuse, trimballer leurs vieux ovaires et leurs bijoux de familles. Et puis ce carré VIP, puant de conciliabules pommadés, de petites femmes qui sentent la pisse et de vieux dégueulasses en lavallières et crânes lissés à l’encaustique. Ici et maintenant, on inventait les castes, pauvres militants payant leur picrate d’euros larvés, et ces gauleiters des petites cellules, à qui l’on avait donné des tickets de rationnement brejnéviens pour se niquer les transaminases sans bourse délier. Le « tous ensemble », dès les premières heures, vacillait en « tout mépris ». Une vieille France, comme un lupus antédiluvien, sortait de terre et grouillait à nouveau en chantant la gloire de Charles X. Ici, on n’invite pas, ici les lois de l’hospitalité n’existent plus, non plus la prodigalité des chefs de guerre victorieux. Ici on raque sous un service anémié, sous emploi criant pour un désir illicite de plein emploi. Là, sous les ors du satrape russe, une petite France cloîtrée et clivée, éjaculait son petit lait frelaté. L’avare avait gagné, et Molière gisait dans son sang, les dents brisées. On reconnait un chef à son panache, à sa générosité et sa joie de vivre. Mais rien de tout cela, juste un petit arrêt d’autoroute, un arrêt d’urgence pour turista liquide. Tout juste un mouvement de recul quand ils apprenaient avec horreur que le chef ne payait pas pour la victoire. Mais gare au regard désapprobateur de la fouine visqueuse. Alors, la foule apeurée des militants, sortait en tremblant ses petits billets rouges et bleus... Les cellules ont des yeux. Ici le mot révolte est un gros mot, mais sous d’autres cieux, là ou paissent les nuages noirs de Jean Moulin, la révolte est un honneur. Mais cette vieille tradition française de l’honneur et du courage a déserté ces rivages. Ici, le gendarme est roi tout comme l’envie du pénal. Un ancien régime bureaucratique de fats s’érige sous forme d’un baba au ruhm, mais sans le lyrisme d’un roi soleil ni la désobéissance dédaigneuse des lois par les aristocrates. Mais retour chez l’épicier. Retour chez l’hôte malappris. Ici, c’est une invitation à la ficelle. Qui se souvient du Guépard de Visconti, de la fin d’un monde annoncé par le dernier des hommes, le Prince Salina ? Le temps du petit épicier roublard est venu, l’assiette au beurre est servie. Que Faut-il faire ? disait Lenine. Et puis Salina est devenu Gramsci ou Jaurès. Un doigt se lève toujours. Le doigt du Prince Salina. Mais pendant que l’homoncule de Nietzsche tente de sortir des égouts de Paris, la petite France fait la queue, érection mollassonne, pour se payer un coup de gourdin. En Italie, le poète-soldat Gabriele D’Annunzio avait un nom pour ce genre de politicard : Cagoia. Nul besoin d’explication, le « tous ensemble » se transforme en étron une fois éjecté. Nous n’avons plus de Victor Hugo mais le Badinguet Nouveau est arrivé. Une cuvée jeune et indigeste vendue au plus offrant. On pense à Léon Bloy, en ces moments solitaires « Avouez qu’une Nation qui laisse périr de faim des hommes comme Villiers, Verlaine et tant d’autres, mérite les pires châtiments. » Mais Léon Bloy ne s’arrête pas là, le bougre d’homme, ce mono-hérétique catholique, qui s’enfonce toujours un peu plus en avant dans les sargasses de la liberté intransigeante : « Une douzaine de guillotines fonctionnant sans interruption sur les principales places de ce prostibule qu’est la ville de Paris laveraient à peine un tel forfait, le plus grand de tous, le péché contre le Saint Esprit ». D’un tel nid de guêpes émasculées on se casse, on s’éjecte, on se gerbe, quitte à se la jouer poulbot ou prince Rodolphe des Mystères de Paris, en balançant des vacheries à ces statues de sel. Je ne sais pas si des millions d’homos sapiens sapiens peuvent se tromper absolument mais je sais au moins une chose, qu’un type qui vous invite en vous faisant payer le vin à la ficelle, ne mérite qu’une chose, un gant dans la gueule. Le reste est une question de courage, qui n’est pas partagé, évidemment.

02 mai 2007

De la bohème...



















Il y a deux manières de sortir de la bohème, les pieds devant ou riche...
La bohème quand on y est, on veut en sortir, quand on n’y est pas, on en rêve... Tout le monde a en tête la chanson d’Aznavour ou mieux encore « la vie d’artiste » de Léo Ferré . Mais qu’est-ce-que la bohème ? Quitte à m’auto-plagier, (c’est moi qui ai écrit l’article « bohème » de wikipédia), je vais me faire un plaisir de rapatrier une partie du corpus...

La vie de bohème désigne généralement une façon de vivre au jour le jour dans la pauvreté mais aussi dans l'insouciance. L’apparition du mot Bohème remonte à 1659 chez Tallemant des Réaux, dont l’accent (è) diffère avec l’habitant de la Boh(ê)me. Il s’agissait de la définition d’un personnage vivant en marge de la société et qui cultive une forme nouvelle de liberté de pensée, et un souci vestimentaire excentrique qui annonce déjà une sorte de proto-punk-dandy de la Renaissance. C’est Balzac en 1844, dans « un prince de Bohème » (remarquez l’accent « è ») qui donne ses lettres de noblesse à la Bohème du XIXe siècle : « Ce mot de bohème vous dit tout. La Bohème n’a rien et vit de tout ce qu’elle a. L’espérance est sa religion, la foi en soi même est son code, la charité passe pour être son budget. Tous ces jeunes gens sont plus grands que leur malheur, au-dessous de la fortune mais au dessus du destin. ». En 1848, c’est le roman aujourd’hui oublié de Henri Murger, Les scènes de la vie de bohème (1847-49) qui fit entrer le mot dans le langage courant. Irradiant depuis le quartier latin et plus particulièrement les mansardes de la rue des Canettes, la bohème, en ne faisant plus qu’un avec le monde des artistes, allait définitivement forger la légende de Rimbaud, Verlaine ou Modigliani.

Dès le début la bohème est d’abord un » topos » , un réseau qui relie entre eux les acteurs de ce mode de vie. Le réseau de la Bohème parisienne du XIX passait par « le Soleil d’Or », le restaurant Foyot, le café Procope, le François 1er, la Source, Le Voltaire. Mais la bohème, si elle est originellement parisienne, se développe aussi en Allemagne, le second pays « bohèmien » d’Europe.

La capitale de la bohème allemande fut sans conteste Munich dans les années 1900, et plus particulièrement le quartier de Schwabing. Les cafés de Munich, ouverts jours et nuit étaient un véritable réseau informel de la bohème intellectuelle. Les artistes se retrouvaient souvent au café Stéphanie ou au Café Simplicissismus, repaire des psychanalystes et des anarchistes comme le fondateur du Gruppe Tat, Erich Mühsam ou le psychanalyste Otto Gross. On peut citer, parmi les précurseurs de Schwabing, « la baronne », Marianne Werefkin, figure de proue du milieu artistique munichois, qui tenait un Salon dans son appartement de la Giselastrasse, reprenant le flambeau du salon berlinois de Rahel Levine dans la Jagerstrasse en 1801. La bohème munichoise se retrouvait régulièrement dans les pièces qui servaient d’atelier aux peintres Werefkin et Jawlensky. On y croisait les peintres Français Paul Girieud, Paul Sérusier, le Suisse Paul Klee, la Croate Erma Bossi, l’Autrichien Alfred Kubin, et des Allemands, Alexander Kanold, Lovis Corinth, Adolph Erbslöh. Parfois, des danseurs comme Nijinsky et Diaghilev, venaient se perdre dans la bohème munichoise. N’oublions pas Le cercle cosmique d’Alfred Schuler, de Ludwig Klages, Karl Wolfstehl et Stefan George, qui élaboraient à partir des étranges théories du suisse Bachofen sur le retour des mythes, sur la libération du corps, et la réunification du pôle féminin dans la civilisation masculine d’Occident. La comtesse Franziska Gräfin zu Reventlow, affirmait que le quartier bohème de "Schwabing n’était pas un lieu, mais un état d’esprit".

En Allemagne, Hermann Hesse deviendra le chantre des oiseaux de passage, les wandervögels à la recherche d’un ailleurs entre l’Orient et l’Occident. Harry Haller, son « loup des steppes » pénétrant dans le théâtre magique et ouvrant une a une « les portes de l’être », peut être considéré comme le premier héros bohème moderne, et un archétype qui perdure jusqu’à aujourd’hui. Gusto Gräser le poète aux pieds nus et personnage totémique des naturmenschen sera le modèle des héros de Hermann Hesse. Les expériences sur les drogues par Ernst Jünger et Aldous Huxley dans les portes de la perception se situent dans le chemin tracé par l’œuvre de Hesse. Le mouvement Dada de Zurich, tel qu’il a été décrit par Greil Marcus dans Lipstick traces, une histoire secrète du XXe siècle avec ses ramification jusqu’à Johnny Rotten, est un héritage direct de la bohème originelle. On sent encore l’influence de Hesse sur les membres de la Beat Generation, et Jack Kerouac en particulier. N’oublions pas William Burroughs et Philip K. Dick, qui se perdront dans l’interzone, cette bohème intermédiaire entre fiction et réalité renvoyant à la fancie d’Edgar Poe.

C’est un fait que cet « état d’esprit » pouvait dès lors prendre un caractère cosmopolite en étendant le réseau des bohèmes originelles à d’autres contrées. La Suisse, les USA et l’Angleterre devinrent des bohèmes de substitution sous l’influence des exilés de la Grande Guerre.

A Paris, le quartier de Montparnasse puis Saint Germain des prés devinrent les nouveaux lieux de la bohème dans les années 1910 avec les cafés du Dôme, la Rotonde, la Coupole, la closerie des Lilas et le Bal Bullier. Cette géographie durera jusque dans les années 1950, puis la bohème en tant que telle disparaitra de sa belle mort touristique avant de réapparaître dans le réseau de boites de nuits de la fin des années 1970 jusqu’au milieu des années 1980.

Le Topos de la bohème est par définition changeant, et au cours des années, l’espace a pu se réduire à une peau de chagrin ou s’étendre comme un chancre.

En France, c’est le roman de Tonino Benacquista , « les morsures de l’aube » paru en 1992, qui allait devenir une œuvre culte en posant les bases d’une nouvelle forme de bohème à la française. Cette fois, les deux héros sont des enfants de la crise, entre marche à l’ombre et le phénomène SDF qui submerge la France. Il s’agit d’une bohème affiliée au gatecrashing social de survie, qui surfe sur les soirées branchées. C’est cependant un mouvement littéraire de science-fiction, le cyberpunk, né aux USA au début des années 1980, qui aura une influence particulière sur la bohème française du XXIe siècle et qui comblera les vides laissés en suspens par le roman de Benacquista. Au début des années 2000 l’artiste Thierry Théolier connu sous le nom de THTH, fonde le syndicat Du Hype (SDH), premier réseau d’information pour les Crevards et les cybermondains de la bohème. Non seulement la bohème se structure avec un réseau d’informations qui regroupe aussi bien les blogs que les agendas et autres forums, mais le caractère cosmopolite des la bohème originelle réinvestit la scène parisienne avec des Allemands, Italiens, Anglais, Irlandais ou Américain. Paris redevient un centre bohémien avec une dérive vers l’Est de la capitale qui englobe un territoire situé entre la rue Amelot (Bastille) , la rue Montmartre, le canal Saint Martin, une zone du Marais entre arts et métiers et le carreau du Temple avec une avancée dans le onzième ( librairie En Marge) et le XXe arrondissement. La géographie de la bohème parisienne a donc une certaine cohérence et cette Bohème a généré le phénomène d’un marché d’art contemporain parisien en plein boum économique, et qui draine à sa suite l’arrivée à Paris d’artistes du monde entier. (Paris, dernière ville de la bohème...)

Mais la bohème parisienne n’est pas composée essentiellement d’artistes, la bohème est un agrégat de personnalités multiples, excentriques, originaux, semi-clochards, dandys, arrivistes, séducteurs et séductrices, âmes perdues, mouches du coche, etc... Personnages qui existaient sous une autre forme au XIXe avec le Marquis de Siblas, Labey de S. ou Shilt de Montclar : énergumènes totalement oubliés, artistes de la vie, dont l’œuvre ne fut qu’un bref passage dans le sillage des Grands Bohèmiens. Il en fut ainsi jadis, il en est de même aujourd’hui.

Mais la bohème, rappelons-le, à ceux qui en rêvent, on en sort les pieds devant ou riche... Soit dit en passant, la dernière catégorie est la plus rare, mais on peut se consoler en sachant qu’en terre de bohème, la mort infâme peut conduire à une gloire posthume de bon aloi. « Un bohème, c'est une variété de bourgeois. » affirmait Drieu la Rochelle...