26 octobre 2006

Il y a autant de Perrotins que d'aiguilles de pins dans les Vosges






















Ça doit être la chute de Saigon
, le 30 avril 1976 pour être précis.
Sauf que nous sommes le 25 octobre 2006 sous le pont Alexandre III et que ce n’est pas dans l’ambassade américaine que nous essayons de rentrer, mais dans la grande soirée de la galerie Perrotin. Une masse compacte, que dis-je, une foule digne de la grande époque du Front Populaire s’acharne sur la brigade katangaise qui garde la porte de l’ambassade Perrotinoise. Ça doit être l’avènement du Cinquième Empire pour générer une ferveur qui ferait peur au pire stalinien. Le plus drôle, c’est qu’ils s’appellent tous Perrotin. Ils sont tous là, une famille nombreuse, clonée, incestueuse, un amas de bébés congelés et décongelés pour la galerie. « C’est moi Perrotin Lucien ! », « c’est moi Gustave, Alphonse, Carmichael... » Ils brandissent tous des cartons d’invitation aussi faux que les papiers de Jean Moulin avec une variété dans le design qui confine au génie. C’est le carton d’invitation personnalisé. Certains secouent sous le nez des Katangais d’immondes photocopies en noir et blanc, d’autres ont des petites choses ridicules au format carte orange. Rien n’arrête les Perotins pour leur grande réunion de famille, brandissez n’importe quoi, c’est la consigne, même les cartes vermeilles de votre grand mère ou une carte d’identité de la république de Freedland feront l’affaire. Même Maurizio Cattelan s’est déguisé en Perrotin. Le grand artiste porte au dessus de sa tête une invitation aussi large qu’un bouclier romain. Il franchit la frontière katangaise sous les applaudissements et les huées. A l’intérieur, les gars du Baron, ces experts de la surpopulation, ont travaillé au confinement extrémiste. C’est l’écrasement des corps, version kamikaze de la hype parigote. On s’échange les haleines, et on glisse culs contre culs, avançant comme des crabes dans un champ de maïs. Je vois passer le sous directeur du moustache club, qui fend la foule comme un brise glace. Il avance, et c’est extraordinaire à voir, d’un pas de gymnastique puissant avec trois nouvelles recrues du club en tenues d’apparat.




















Il m’indique en lissant sa moustache, que Pochetronik est dans un coin en train de jouer de la flûte de Pan avec des coupes de champagne. Je m‘avise soudain que nous sommes sous le pont Alexandre III. Ça a un côté Adèle Blanc-Sec revu par Voici. Les clodos ont été expulsés pour laisser place aux vernissages underground. Sachez aussi que le Tsar Alexandre III, Alexandre Alexandrovich Romanov , était loin d’être un démocrate en son temps. (Imaginez un pont Général Pinochet...) C’est à coup de bombes que le groupe « Volonté du Peuple » avait envoyé son père Alexandre II rejoindre le pays des chasses éternelles. Son fils, par conséquent, était dans le genre autocrate, et goulagueux à mort. C’est vrai qu’en France on aime les hommes d’ordre, c’est pour ça qu’on leur donne des ponts. Brassens, lui, a droit à un square à la con, et à une centaine de ronds points Georges Brassens dans toute la France. J’en connais un dans la banlieue de la ville de Laon, demandez-moi et je vous donne l’adresse. Mon barman préféré me balance soudain deux flûtes de champagne. Vu la concurrence, il vaut mieux se faire des amis derrière le bar, et faire assaut de fidélité. Ça évite des perdre son temps en faisant des gestes ridicules pour se faire servir. L’homme au papillon en boutonnière, est assis, rond comme ballon, entre deux luronnes. Je m’approche de lui, en demandant si je peux utiliser le surnom de « papillon ». « Dis-toi, me dit-il depuis son coussinet, « Je ne suis pas venu ici pour entendre des conneries ! » « Tout a fait d’accord, le mieux c’est que tu me balance un pain direct, lui dis-je ». Je m’attendais, j’espérais, une chaude action réaction de virilité pour doper l’ambiance avec du testostérone. « En fait non, dit-il, parce que tu es un pochtron comme moi » ???. Franchement, suis-je venu ici pour entendre des conneries ? Las, les bras m’en tombent. L’homme au papillon revient alors bredouille du bar. « J’ai traité le barman de « catin » et il ne veut plus me servir ». « Tu aurais dû le traiter de faquin en fait ! ». « Ça, c’est pas mal... T’es fort toi !» et le papillon s’est mis à voleter dans la foule à la recherche d’une épaule. Plus loin j'aperçois Franck Knigth qui est venu faire la nique au Tsar Alexandre en faisant sauter les bulles de Piper. Il est temps de rebaptiser ce pont du nom de Jeliabov. Hâtons l’histoire ! Jeliabov n’avait-il pas écrit que « La marche de l’histoire est trop lente. Il faut la pousser un peu. ». C’est à coups d’épaules que je me fraie un passage au milieu des Perrotins, à la recherche de Mimi perdida. Je vois soudain le moustache club traverser la salle à une vitesse vertigineuse. Mais comment font-ils ? J’aperçois alors dans un coin Maurizio Cattelan qui s’entretient secrètement avec Milan de Stop-Talking qui lui remet un post-it. Je retrouve enfin Mimi qui n’est plus perdida, mais du côté de Karina tralala. Je m’adosse au bar dans la position du nihiliste. Petite rectification, le mot nihiliste à été utilisé par Tourgueniev (Pères et fils-1862) pour désigner les révolutionnaires russes dans un sens bien particulier « Un nihiliste est un homme qui ne s’incline devant aucune autorité, qui n’accepte aucun principe sans examen, quel que soit le respect dont ce principe est entouré ». Petite rectification donc, le nihiliste est un esprit critique bien loin de la figure du nihiliste de supermarché qui lui ne croit en rien. Ainsi, les nihilistes russes croyaient en beaucoup de choses, en Dieu, en Fourrier, au sacrifice, à la libération des serfs... Ainsi, le nihiliste qui ne croit en rien c’est le Tommy Hilfiger de William Gibson. C’est pour cette raison que la violence du nihiliste russe ne naissait pas du rien, ce qui serait stupide, mais de l’impossibilité pour lui de s’exprimer librement. Un nihiliste est donc un homme acculé, un homme dos au mur. C’est la violence libératrice qui apparaît sous forme de manifestes, car tous les manifestes sont des actes violents qui se manifestent par des mots ou des actes. La différence est seulement technique. C'est ainsi que Huey. P. Newton, fondateur du Black Panther Party, expliquait l’origine du logo de son mouvement, qui répond de manière imagée à « qu’est-ce qu’un nihiliste ? » :

« Si tu pousses la panthère noire dans un coin, elle va tenter de fuir en passant par la gauche. Si tu la coinces là, elle va vouloir s’échapper par la droite. Et si tu continues à l’oppresser et à la pousser dans ce retranchement, tôt ou tard, cette panthère va sortir de là et va décimer quiconque l’oppressera. »

Dos au mur, ou dos au bar, finalement, ce n’est pas si mal.


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