31 janvier 2007

Soirée K ( Karl Lagerfeld) chez BETC... Faut-il sauver K ?











Lorsque les portes rouges de BETC
, se sont ouvertes, nous étions tractés par quelques fantomatiques cordons ombilicaux vers les entrailles d’un géant alangui. A l’intérieur, la cavité abdominale comportait un dance floor et un jeu de miroirs déroulant à l’infini ses synapses suceuses de matières grises. Nous avions quitté le monde pour un continent de faux semblants. Ici, dans le lieu ou se camembérise le temps de cerveaux de la nation et du monde, et ou s’échelonnent les cités virtuelles des %. Ici, l’homme et la femme ne sont plus que des particules amagnétiques roulant au hasard. C’est l’univers du syndrome de Parsifal, comme un défilé de mode qui exclu par contrat le sens du toucher des procédures opérationnelles.












La musique paraissait aplatie par le besoin mesquin de s’infiltrer dans les recoins des ascenseurs et des supérettes. Une musique lointainement « techno » comme la filière de la vache folle était l’écho lointain d’un cannibalisme bon enfant. La montée en puissance chamanique d’un Front 242, n’est plus de mise, il faut savoir raison garder tout en singeant le singe. C’est le talibanisme de l’esprit. Et ici, l’esprit néo dieu est partout. Derrière les portes rouges se trouve le méga cerveau mammifère de l’humanité. Le monde de la consommation joue sur ce qui nous apparente au simiesque et non à ce qui nous en éloigne. La faim et le burlesque sont les deux mamelles du cerveau animal. Le singe qui achète. Celui qui rigole de la main coupée. Le burlesque, pas l’humour et le rire d’Aristote... La faim comme le désir la jalousie comme un confucianisme de la consommation. Aux portes, pourtant, la prose mallarméenne de l’homme faisait entendre sa voix. Entre Till l’espiègle, et Louis de Funès, il sautait en tous sens, bondissait, poétisait devant les cerbères sur les tribulations d’un sans famille. Humain trop humain vous resterez dehors semblait ordonner un commandeur inflexible. Finalement, à l’orée du climax, fatigué des Moët, alors que la lassitude nous étreignait, il vint. Non pas l’homme du dehors, le dernier aventurier. Oh non ! Mais lui, celui qui n’est pas. Appelez-le K. ou peut être Karl Lagerfeld. On se souvient de ces hommes qui, après des années de goulag étaient restés eux même. Libres. Pour K, c’est le contraire, et c’est au soir de sa vie, découvrant pour la première fois un style et un corps, qu’il perdit toute identité, aspiré par le corpus média. Sanglé dans une chemise des années 1915, compressant son corps de buveur de bière dans le reliquat freluquet d’un lutin, le cheveu blanc noué en catogan, les lunettes d’aveugle, cachant, sait-on jamais, les yeux rouges du vampire ? Mais de l’espèce anémiée. Le vampire falciforme qui vit dans une prison ou les miradors sont les services de sécurité, et ou les caméras enchaînent sans fin un fil de vie totalitaire. Voir Karl Lagerfeld dans ses déambulations dénuées de sens, c’est voir l’abbé Farias en représentation dans sa cellule du château d’If. Une ombre folle sur le mur de la caverne. K. et peut être s’en rend-il compte, s’est trompé de rôle. Le comte de Monte Cristo est l’homme du dehors. K porte sa défroque comme un drame. Comment ne pas être touché par ce destin confisqué, par cette mise au joug de ce petit homme, dont on voit encore les tendres grimaces enfantines à travers le fard.













K est un enfant prisonnier d’un grand singe, qui, du haut de sa colline, fait le Jupiter éternel en transformant les bouillons Kubes en pluie d’or. Libérer K ? En appeler à Fantômas, escamoter le prisonnier dans un grand black out . Le rendre à la vie avec son bermuda et son T-shirt, cheveux dénoués et bonnet rouge, regardez-le gambader dans la forêt au milieu des nains de jardin. Regardez comme il est heureux ! C’est beau la liberté, ça fait pleurer.

Voir le Momo chez Karl

27 janvier 2007

Le cabinet d‘écriture curieuse #1










Voici la première partie d'une série de réflexions sur l'art d'écrire au XXI e siècle.


#SUCCESSIBLE#

(qui est apte à recueillir une succession...)


Les nouveaux écrivains ne sont pas successibles des écrivains de l’ancienne génération. Pour nous (sommes-nous nombreux ?) l’héritage littéraire n’existe pas puisque les écrivains à l’ancienne, qui sont assis dans un mandarinat institutionnel, sont encore des écrivains aux petits cahiers et aux stylos. Parmi ceux ci citons tout d’abord deux figures tutélaires : Sollers, ce phasme de la littérature, et le pétillant D’Ormesson, prince (de bonne foi) de l’auto plagiat. N’oublions pas BHL, Déon, Poivre D ‘Arvor et tant d’autres, talentueux ou pas, parfois médiocres, et souvent beaux parleurs. Or, le monde à changé et les techniques d’écriture elles mêmes se sont trouvées bouleversées par le « traitement de texte », un outil formidable que l’on peut utiliser comme une machine à faire de gros pâtés indigestes, ou au contraire, ciseler les phrases et assembler les blocs afin d’inventer sa propre musique. C’est un fait que le TdT ne favorise aucunement le flot délicat d’un premier jet. Le passage de la plume au clavier induit une différence de « volume »... L’écrivain à l’ancienne siffle comme un pinson, croasse, fait le pétomane, déclame sa verve tel un torrent limpide ou impétueux. Le nouvel écrivain, au contraire, se confronte à la masse informe du granit. Il peut bien sûr s’évertuer à multiplier les poinçons avec une obstination bornée et pavlovienne. C’est généralement une chose absconse qui en ressort, et qui vient rapidement submerger les éditeurs d’une rillettes torrentielle. Croyez vous que tous les boulangers fassent du bon pain ? Non ! Pourtant les outils sont les mêmes, mais sur mille boulangers vous n’en trouverez que sept remarquables, deux exceptionnels, et le dernier sera un maitre d’excellence. Car il faut bien autre chose qu’un four pour créer un pain unique... Il faut bien autre chose qu’un TdT pour créer un texte singulier.

Certains textes que j’ai écrits auraient été impossibles à créer sans Internet, à moins de passer une vie entière dans une bibliothèque comme José Luis Borges. La somme de documentations et des précisions acquises avec la vitesse et la puissance du web sont phénoménales. Cette recherche fait partie du processus créatif ou il s’agit moins de balancer de belles phrases, que de discriminer et agencer les informations. C’est un travail laborieux qui ralenti paradoxalement l’écrivain. C’est ainsi que l’écrivain à l’ancienne peut écrire très rapidement de nombreux ouvrages grâce à ses petits cahiers, et à ses étudiants chargés de lui fournir des fiches de lectures sur une documentation précise. Leur manuscrit ( a mano) sera ensuite transformé en tapuscrit par un étudiant et envoyé aux meilleurs correcteurs de France... L’écrivain à l’ancienne, contrairement aux idées reçues, travaille donc à la chaîne, s’appuyant sur une force de travail servile et des spécialistes de l’édition. Le résultat est souvent aussi honnête qu’une bonne cuisine bourgeoise. Le nouvel écrivain, lui, est un artisan, un trappeur des autoroutes de l’information, un vagabond solitaire à la recherche de mines cachées. Il ne peut s’appuyer que sur lui même, errant au petit bonheur la chance entre correcteurs orthographiques, coquilles, et ces nombreux prurits que ne connait pas un D’Ormesson.

Et puis l’écrivain moderne ne publie pas de livres, ou si peu, puisqu’il sait d’avance l’inutilité d’une telle dépense d’énergie. L’objet livre n’est pas successible aux nouveaux écrivains. Il est une possibilité pas une nécessité... Un blog comme celui ci, modeste et anonyme, compte près de vingt mille visiteurs, pas vingt mille lecteurs très certainement... Mais combien de livres sont feuilleté par vingt mille personnes ?

Les nouveaux écrivains sont donc des écrivains bloggeurs. Et un blog, c’est bien plus qu’une feuille d’écriture, c’est un laboratoire d’écriture curieuse, un endroit ou il est possible d’expérimenter, de travailler le granit, et d’explorer des domaines inédits. Le blog peut (et doit) être utilisé comme une salle d’entraînement, un dojo d’écriture, un lieu de liberté afin de toujours surprendre celui qui est venu et qui a vu. L’écrivain bloggeur doit donc s’appuyer sur un drill qu’il s’applique à lui même, faisant preuve d’un courage et d’une responsabilité devant sa propre écriture, chose que ne possèdent pas les écrivains à l’ancienne. Et nous aussi, les nouveaux écrivains, nous utilisons parfois des petits cahiers et des stylos...

26 janvier 2007

La république de Paradis en Amérique.


















Ce texte a été écrit pour la revue Supérieur Inconnu en 2005. Il s'agit de l'histoire de Christian Priber, un utopiste et un guérillero du XVIIIe siècle.

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Si vous vous rendez en Amérique, et que votre route vous conduise à Frederica, vieille ville de Géorgie, n’oubliez pas de visiter le Fort Simons dans le quartier des prisons. Sachez qu’un étrange fantôme hante ses ruines. Il s’agit d’un petit homme en robe noire de jésuite brandissant une épée à poignée d’argent. Si vous ne le voyez pas, prêtez attentivement l’oreille et vous pourrez peut être entendre sa voix d’outre tombe rugir entre les murs de la vieille forteresse, passant de l’allemand au latin, du français au cherokee. Demandez au vieux guide indien, lui seul pourra vous renseigner sur cette apparition. Insistez ! Tachez de gagner sa confiance et il vous conduira dans la cellule ou est mort Christian Priber. « Nous l’appelions parfois « Black robe », dira le vieil homme c’est lui qui à fondé la république de Paradis. » ajoutant alors mystérieusement « que ces choses là sont toujours dangereuses à évoquer en Amérique. »

Christian Priber est un fantôme de l’histoire. Son nom n’apparaîtra jamais dans le flot officiel de l’historiographie. Seules quelques notes de bas de pages mèneront les voyageurs imprudents à croiser ce destin de réprouvé. Christian Priber est bien une anomalie temporelle qui bouleverse l’agencement précis, chronologique, et matérialiste de l’histoire. Priber est un homme des Lumières d’avant la philosophie des lumières, un anti-colonialiste et un révolutionnaire international qui annonce Bakounine, un bâtisseur d’Empire d’avant Bonaparte, un guérillero américain précurseur de Che Guevara...

C’est en 1743, « An cinq » de l’Empire Rouge que Christian Priber fût capturé à Tookabatcha par des officiers anglais accompagnés de guerriers creeks. Le prisonnier est immédiatement conduit au fort Augusta, puis à Frederica en Géorgie ou il est incarcéré. On fait suivre une caisse remplie des manuscrits de Priber. Ces documents vont sceller son destin. Le General Oglethorpe y découvre un dictionnaire, le premier jamais écrit sur la langue cherokee mais aussi un ouvrage prêt à être imprimé à Paris, désigné sous le nom de « Paradis » et décrivant la constitution et les « droits naturels » d’une « République cherokee ». Pour le Général et le Georgia Trustee, une chose est certaine, ce prisonnier ne devra jamais sortir vivant de prison.

Christian Priber est né en Allemagne, à Zittau, le 21 mars 1697. De ses premières années nous savons qu’il étudia à Leipzig en 1718 puis dans la célèbre université d’Erfurt. Sa thèse de doctorat qu’il défend en 1722 est un modèle d’érudition et de subversion : Quam de usu doctrinae juris romani, de ignorantia juris in foro Germaniae. Le projet de Priber est de réformer l’Allemagne par le droit romain. Sa vie, dès lors, ne fût plus qu’une fuite sans fin à travers l’Europe en guerre. Il arpenta les canaux et les quais d’Amsterdam, terre d’asile, ou les navires de contrebande déchargeaient la mélasse des Antilles et les fourrures canadiennes. Puis ce fut l’Espagne du « siècle d’or », étrange Empire catholique de Philippe V plongé dans la lumière mystique du catalan Ramon Lulle et de la « magie naturelle » de l’italien Giordano Bruno, influences que l’on retrouve jusque dans la philosophie des armes de Hieronimo de Carranza mais aussi dans l’utopie architecturale du temple de Salomon « reconstruit » par le jésuite Villalpando. Ce furent les années de la survie, les duels, la peur, l’Inquisition d’un côté, les tribunaux luthériens de l’autre. Le fugitif n’a d’autre choix que de s’engager dans ces compagnies mercenaires qui traçaient une monstrueuse cicatrice sur la carte d’Allemagne. La guerre avait été initiée en 1631 avec les 20 000 morts de Magdebourg puis en 1689 ou une à une, les villes du Pfalz , le Palatinat, sont incendiées projetant leurs colonnes de fumées noires sur toute l’Europe : Mannheim, Spire, Worms, Bingen, et Heidelberg. Le Palatinat avait été le centre du « mouvement » alchimique du comte palatin -Pfalzgraf- Michael Maier, mais le royaume « magique » rêvé par « le roi de l’Hiver » Frederick V, disparaissait définitivement à la bataille de la « montagne Blanche », emportant dans les flammes, ses jardins hermétiques, ses orgues à eaux et ses statues parlantes et autres automates nés du génie des artisans et des penseurs néoplatoniciens. Le Palatinat détruit est le monde en friche de la modernité. C’est en ces terres de désolations parcourues par les princes féroces de l’Occident et leurs chiens de guerres, que des philosophes anonymes préparent l’utopie de demain. C’est dans ces décombres que naissent et meurent d’éphémères confréries mystiques de chercheurs spirituels. On donna parfois à ces hommes le nom de Rose-croix, simple plaisanterie intellectuelle, ludibrium qui fonde une communauté par la seule appartenance au monde de la connaissance : la « fama fraternitatis ». Priber est cet homme qui se dresse au milieu des ruines. Il est le héros du ludibrium, mais les sicaires du pouvoir, en persécutant l’utopiste, donnent corps au rêve, apportant malgré eux, la première pierre à la subverstion. C’est ainsi que le destin révolutionnaire de Priber va irrémédiablement se confronter à la réalité et dépasser l’Utopie de Thomas More, la Nouvelle Atlantide de Francis Bacon ou la cité du Soleil de Campanella.

La France au temps de Christian Priber, portait encore les rêves fous du financier Law, et malgré la banqueroute, les puissances en devenir libérées par l’Ecossais continuaient à irriguer le royaume tel un Mississipi du diable. En 1725, les représentants des tribus Padoucas, Missouris, Otos, Osages, Ponis, Aiouez et Kansas sont reçues par le roi à Fontainbleau. S’adressant à Louis XV, ils lui déclarent « Nos terres sont à toi, plantes-y des Français, protège-nous et donne-nous des collets blancs (des prêtres), chefs de prières pour nous instruire. » La Compagnie des Indes a besoin d’hommes déterminés pour agir dans les colonies du Nouveau Monde. L’Anglais à des armées nombreuses et bien entraînées, on lui opposera donc le style français : quelques « intrigants », mercenaires, aventuriers et nobles en mal de croisade pour rallier les sauvages au royaume de France. Priber, agent français ? Cela ne faisait aucun doute pour le Général Oglethorpe qui étudia les manuscrits de son étrange prisonnier. Quoiqu’il en soit, Priber planifie sa vie comme un texte de droit romain. Son exfiltration est un modèle de double jeu digne d’un espion venu du froid, ou d’un fou de dieu transitant par Hambourg. Ainsi, lorsque le Prince évêque de Salzbourg expulse 20 000 luthériens qui sont autorisés à se rendre en Amérique par le Georgia Trustee qui est sous la juridiction du Général Oglethorpe, Priber s’engouffre dans la brèche. La vague de pogroms anti-protestants est une couverture idéale pour l’aventurier allemand et le 13 Juin 1735 , le « salzbourgeois » Priber, candidat à l’émigration, est à Londres ou il obtient l’autorisation de se rendre en Amérique. C’est enfin la traversée incertaine de l’Atlantique dans un navire chargé de têtes blêmes, de fanatiques luthériens, et de puritains hollandais, rêvant à une improbable Jérusalem terrestre au delà des mers. Priber est un Ulysse grimé en mendiant, mais son regard est déjà de l’autre côté du miroir et le plan grandiose mûrit sous les murs d’Erfurt par un petit juriste universitaire, se construit comme une voile gonflée par les vents alizés. La chaîne d’or du destin se déploie devant le regard volontaire de Priber. Le temps des masques est finit et le fugitif d’Erfurt peut laisser des traces autours de lui comme autant de jalons, de stèles symbolique pour les générations futures. 1735, La gazette de la Caroline du sud garde souvenir des achats extraordinaires de Priber : des vêtements d’homme, des bottes et des jambière en cuir de Hollande, des fusils, des pistolets, de la poudre et une épée à poignée d’argent. Ce dernier achat est d’autant plus singulier que les émigrants portent rarement des épées, tout au plus des couteaux ou des dagues de Sheffield. Mais cette épée, n’en doutons pas, est aussi un symbole, c’est le glaive du Prophète, la déclaration de guerre d’un utopiste devenu guérillero.

Le 27 février 1736 Priber fait une demande pour acquérir un terrain dans la ville d’Amelia, faisant valoir qu’il est père d’une famille de six enfants. Cette famille imaginaire doit lui fournir une couverture temporaire afin de ne pas être démasqué. Le conseil lui octroi la terre et Priber en profite pour disparaître. Comment Prieber s’est-il rendu à Great Tellico la capitale cherokee ? Nul ne le sait, mais les distances à parcourir et les dangers étaient innombrables. S’est-il attaché à un convoi d’immigrants avant de continuer seul en traversant la chaîne montagneuse des Unakas et des montagnes brumeuses ? Le transfuge fait donc une entrée remarquée avec son déguisement soigneusement choisit : sa robe noire de jésuite, sa caisse de livres et son sourire. « Black Robe » est reçu comme un chef venu de la lointaine Europe et le petit homme réussit par son intelligence et son charisme à devenir l’ami et bientôt le conseiller de Montoy, le plus puissant des chefs cherokee. Priber abandonne rapidement sa défroque pour s’habiller à l’indienne et épouser la fille d’un guerrier. En quelques mois il maîtrise le Tsa-la-gi, et commence la rédaction d’un dictionnaire cherokee. Son premier acte subversif est d’enseigner aux indiens l’usage des poids et mesures afin de commercer équitablement avec les trappeurs anglais. Il entreprend la réalisation d’un réseau de communications fluviale avec la Nouvelle Orléans, mais aussi avec les territoires espagnols, afin de briser le monopole anglo-saxon. Pour les commerçants anglais, il s’agit d’un crime impardonnable mais Priber sait exactement ce qu’il fait et il inculque aux chefs indiens des notions de géopolitiques en les exhortant à ne plus céder leurs terres aux blancs et à considérer le sol comme un bien inaliénable, façonnant l’idée de la « nation cherokee » à une époque ou le concept d’Etat nation est lui même indéterminé en Europe.

En 1738 une terrible épidémie de variole décime les tribus cherokees, et les anciennes traditions s’avèrent incapables de s’adapter aux bouleversements de la société indienne. Le chef Montoy entreprend alors un processus de modernisation politique et culturel sous l’égide de son premier ministre : Christian Priber. Les changements politiques qui surviennent au delà des montagnes brumeuses se propagent rapidement sous forme de rumeurs et d’histoire étranges véhiculées par les trappeurs jusqu’à ce jour de 1739 ou le gouverneur de Charleston reçoit une lettre dont la lecture le laisse sans voix. Cette missive est un document « officiel » de Great Tellico , capitale de la « nation Cherokee » qui informe le gouverneur anglais, poliment mais fermement, que les Anglais doivent quitter le sol américain puisque l’Amérique appartient aux Indiens et que ceux ci on l’intention de protéger leur terre et de la conserver. La lettre est signée Christian Priber, « premier ministre ». La tête de Priber est immédiatement mise à prix et le 2 mars 1739, l’Assemblée de la Caroline du sud lance un mandat d’arrêt contre lui. La prime est de 402 £. C’est le colonel Fox et deux soldats qui sont envoyés en territoire cherokee pour arrêter celui que l’on désigne sous le titre de « Docteur Priber ». Les Indiens reçoivent l’envoyé anglais et lui confirment qu’aucune autorité étrangère n’à pouvoir sur la terre indienne, et qu’il ferait mieux de rentrer en Angleterre immédiatement...

Par cet acte fondateur ou un représentant de la couronne britannique est publiquement humilié, la République de Paradis était officiellement fondée. Christian Priber conçoit une série de rituels afin de constituer l’Etat cherokee sur le modèle « romain ». L’Empereur Montoy 1er avait ainsi été couronné, et les chefs tribaux avaient reçus une série de titre honorifiques à la manière de la noblesse européenne. Cet « Empire républicain », réalisait l’union de la forme monarchique avec le système parlementaire du grand conseil cherokee. Une des premières actions de l’Empire Rouge est de décréter le territoire cherokee « Terre d’asile » pour tous les hommes, Anglais, Français et Allemands ainsi que pour les esclaves fugitifs. Selon le témoignage du voyageur Antoine Bonnefoy en 1741-42, d’autres Européens ont rejoints la république de Paradis, il cite ainsi la présence d’un certain Pierre Albert qui leur propose de rejoindre cette « république française » en terre cherokee. Ce dernier affirme aussi qu’une centaine de trappeurs anglais ont rejoint l’Empire Rouge et qu’un nombre considérable de partisans sont attendus. Bonnefoy note la présence d’un noir, esclave fugitif, ainsi qu’une réserve de munition ou l’on distribue des armes à soixante dix nouvelles recrues. Dans le manuscrit découvert dans les bagages de Priber, le projet constitutionnel décrivait une société égalitaire qui assurait la subsistance de tous et qui supprimait les lois du mariage pour les remplacer par un système d’union libre dans lequel les enfants, à la manière de la ville de Sparte, étaient élevés en commun. James Adair, un de ces trappeurs vêtus de daims qui vivaient dans la République de Paradis raconte dans ses Mémoires comment Priber était devenu « indien » des pieds à la tête et avec quel entêtement il s’efforçait de convaincre ses concitoyens de l’importance de la nation Cherokee dans le jeu des puissances qui s’affrontaient en Amérique. Stratège et fin tacticien, Christian Priber réorganisa l’armée cherokee avec l’acquisition d’armes à feux et la constitution d’arsenaux ou les guerriers pouvaient se ravitailler. Lors de son incarcération à Frederica, les Anglais découvrirent que leur prisonnier avait été un militaire de haut rang dans une armée européenne (qu’ils ne désignent malheureusement pas...). Le Général Oglethorpe lui accorde donc des privilèges importants afin de rendre sa vie plus facile et sa cellule devient un véritable salon littéraire ou des personnalités viennent tour à tour pour s’entretenir avec le philosophe. Lors de l’explosion d’une réserve de poudre dans l’enceinte du fort, Priber se comporta d’une manière inattendue démontrant une connaissance parfaite de la science militaire. Alors que prisonniers et gardes fuyaient en désordre pour se mettre à l’abri, il fit montre d’un sang froid extraordinaire en se couchant sur le ventre lors de la déflagration. Interrogé plus tard, il expliqua stoïquement qu’il s’agissait de l’unique manière de survivre à une explosion.

On considère généralement que Christian Priber s’est éteint dans sa cellule le 21 avril 1743, mais le Professeur Dr. Karl-Heinz Kohl de l’institut Frobenius de l’Université de Frankfort indique la date de 1748 ... Mais Priber est-il réellement mort à Frederica ? Lorsque qu’en 1760, les guerriers cherokees infligent une sévère défaite aux Anglais à Fort Loudoun on met en cause « l’influence » de Priber ? Le sort des manuscrits de Priber est encore plus mystérieux, vraisemblablement envoyés à Londres au Georgia Trustee, leur disparition alimentera encore longtemps les espoirs des érudits et collectionneurs du monde entier. On indiquera cependant que Priber suggéra que son ouvrage « Paradis » était sous presse à Paris. Il parait peu probable qu’un exemplaire, s’il a réellement été imprimé, ai survécu jusqu’à nos jours, à moins de considérer que le « Paradis » puisse se cacher dans « l’Enfer » des archives... Mais l’Enfer est ailleurs et c’est en 1776 que le Général Griffith Rutherford et ses 2400 hommes s’engouffrent dans la trouée de Swannanoa et s’abattent sur les villes Cherokees de Stecoee, Oconaluftee, Tuckaseegee. Hommes et femmes de la république de Paradis se sacrifient tels les 300 spartiates des Thermopyles pour repousser l’envahisseur dans la passe de Wayah. Mais la fin est proche, et trente-six villes sont brûlées, le bétail est abattu, les champs dévastés. Il s’agit d’une guerre d’extermination ou hommes, femmes et enfants sont tués puis scalpés. La république de Paradis est détruite par le feu.

Malgré cet échec apparent, l’œuvre de Christian Priber à ouvert la voie à une nouvelle conception de l’utopie appelée « fraternité ». Ainsi, sur les cendres encore fumantes du Palatinat cherokee, des hommes et des femmes se sont relevés afin de rejoindre cette nouvelle fraternité telle que l’imaginait le comte palatin Michael Maier décrivant symboliquement cette terre des hommes « où fleurissent abondamment les lis et les roses, qui poussent dans le jardin des Philosophes et où aucune main indélicate ne peut les cueillir ou les abîmer. » On comprend dès lors le caractère anonyme et solitaire de la vie de Priber, puisqu’il avance dans un jardin symbolique ou les fleurs sont des postulats et des concepts qui seront plus tard attribués à la Révolution Française, mais aussi à Bakounine, Garibaldi ou Lénine. Dans ce nouveau monde inversé, les notions de succès et d’échec dans sa tentative de créer la République de Paradis, n’ont plus raison d’être, puisque Christian Priber s’estompe comme un fantôme pour laisser place à quelque chose de plus grand que son utopie fraternelle : l’impossible. Dansant sur une pavane aux mille regrets, tournant en rond dans le cercle mystérieux de l’histoire, Christian Priber est donc un homme du Pothos selon la définition d’Arrien, celui qui est capable de « faire quelque chose de toujours nouveau et d’impossible »: Cueillir une rose alchimique dans un jardin d’Heidelberg et la faire fleurir dans les montagnes brumeuses du Nouveau Monde.

23 janvier 2007

Confessions d’un enfant du monde miroir.
















Dans la forêt des Carpates, la tradition des maîtres-bergers des Tatras conserve une étrange coutume ou le vieux berger, sur son lit de mort doit révéler au novice les secrets du passage dans l’autre monde afin de lutter contre les vampires qui viennent sucer le sang des brebis. Aujourd’hui, la forêt, métaphore du monde miroir et de sa singularité, nous livre elle aussi les secrets de « l’antimonde », celui qui s’oppose à l’uniformisation de la Terre et qui résiste au déracinement de la culture, ce monde ou les cloches de fer tintent au vent du soir, et qui vient nous rappeler l’Histoire oubliée des hommes : passé, présent, futur... Cet autre monde est aussi universel que celui des avions cargos et des espaces sans frontières, car c’est bien de deux universalités qu’il s’agit, celle des hommes et celle du flux, qui s’opposent et parfois se complètent... Mais certains prédateurs, tels les vampires des Tatras, voudraient vider l’homme de sa substance pour glorifier un monde de la noosphère qui terrifierait même le plus extrémiste des futuristes. Le monde miroir, celui qui reflète encore notre image, est ainsi une métaphore sur le commencement et la fin d’un monde, c’est aussi le lieu d’une rencontre. C’est la rencontre objective et subjective d’un homme avec d’autres hommes. C’est Hugo Pratt à Saint Malo, qui fidèle à son rêve, revenait d’une quête étrange en Amérique centrale et qui se lança avec un jeune homme inconnu dans une conversation sur l’Eldorado et les conquistadores, snobant sans vergogne les officiels du festival du livre d’aventure. Je ne pourrai certainement jamais oublier Paul Zumthor, médiéviste renommé et écrivain dont le destin fit que nous habitions le même immeuble du cinquième arrondissement de Paris lorsque j’étais étudiant. « Savez-vous me dit-il que cet immeuble a été construit à l’emplacement même de l’hôtel particulier de jean-Antoine de Baïf ». Paul Zumhtor représentait pour moi le type le plus parfait de la civilisation occidentale, alliant un charme victorien, une modernité nord américaine, et l’humanisme du vieux monde. J’ai appris de Paul Zumthor, l’art de l’écoute et de la curiosité, lui, qui à la fin de sa vie, s’intéressa au rap sans se soucier du politiquement correct de l’université. Je me souviens aussi de la gentillesse de Claudio Magris, qui répondit avec tant de délicatesse à mes lettres d’apprenti écrivain. Je n’ai cessé depuis de relire son merveilleux Danube en rêvant de me perdre dans les méandres et de m’approcher de ces portes secrètes que le grand écrivain de Trieste semblait avoir entrouvertes pour les générations futures. C’est à Salamanca, dans ce qui fût la plus ancienne université d’Europe, que j’ai fait la rencontre décisive avec l’écrivain espagnol Gonzalo Torrente Ballester, et auteur de l'extraordinaire roman l’île des Jacinthes coupées. Ce vieil homme vénérable au regard malicieux me fit pénétrer entre les entrelacs mystérieux du sens de l’histoire et l’anneau de Moebius qu’il tisse avec la littérature et le rêve. Personnage controversé, Jean Piel fut mon professeur d’université, personnalité rabelaisienne à l’intelligence modulée de fureurs et de silence mystérieux ou l’écho de Marx résonnait et se perdait aussitôt dans une étrange désespérance. Je revois encore avec tendresse, et je suis sûr que ce mot lui déplairait, ses rouflaquettes énormes d’universitaire du Second Empire et les volutes épouvantables de ses cigarettes s’élançant en fumées toxiques, vers l’amiante friable de Jussieu. Mais je sentais que cette tonitruante fureur se perdait malheureusement en vain dans des querelles de clochers universitaires. J’en profitais pour me lancer dans un voyage d’étude en Amérique du sud, sur les traces d’Alexandre de Humboldt et de l’Eldorado. Ce voyage avait bien sûr plus à voir avec Joseph Conrad et Jack London qu’avec une quelconque ambition universitaire. Périple comme un chant de l’équipage, ou la désillusion de l’aventure donne la main à la sordide réalité... Menaces de mort à Cartagena, fuite à Medellin, arrêté par un commando de l’armée colombienne au milieu des puits de pétrole de Texaco... Que du normal sous ces latitudes... C’est l’écrivain colombien Alvaro Mutis à qui je racontais ces rocambolesques mésaventures qui s’exclama « Mais faîtes-en un roman ? ». La tentation est-elle née à cette époque ? C’est enfin Sarane Alexandrian, dernier grand témoin des surréalistes, écrivain et inclassable historien des idées, qui lut avec intérêt mon premier roman Falkenstein . Il me donna ma chance, avec d’autres, en publiant nos textes dans sa revue Supérieur Inconnu, faisant preuve d’une audace et d’un courage qui n’a finalement pas d’équivalent dans le monde littéraire français de la fin du XXe siècle. Il faut bien reconnaître que pour ceux de ma génération, le concept même d’existence ne pouvait passer que par les fourches caudines de l’adoubement médiatique. Mais cela, tant pis ou tant mieux, nous ne le savions pas encore... Trop jeune pour nous accrocher au train des années 1980, une étrange procession d’arrivistes et de cyniques prenait le large sans nous. Des mornes années 1990, je me souviens de mon départ pour Prague, et de l’insensé projet d’écrire là bas un ouvrage sur ce que j’appelais présomptueusement le cyberréalisme. Vivant dans un immeuble stalinien aux couloirs immenses ressemblant aux terrifiantes architectures de Blade Runner, je m’attelais à cette tâche impossible et épuisante. Il me reste un manuscrit étrange que je n’arrive cependant pas à détruire. La réalité était plus prosaïque pour ceux de ma génération, il nous fallait tout appendre par nous même, prendre le temps de répéter inlassablement les katas du classicisme et de la modernité. Forger son corps et son esprit à l’adversité d’une bataille future : un désert des Tartares, une attente inlassable. Nous étions sans le savoir les enfants perdus du siècle, rêvant à nos utopies et aventures extraordinaires, alors que le monde de nos années révolues allait s’avérer bien plus effroyable que nous ne pouvions l’imaginer. Je pense bien sûr à mon ami l’écrivain Pascal Guy et à « Mille collines », son incroyable roman picaresque sur le Rwanda. C’est à l’époque charnière du passage au XXIe siècle que ceux qui survécurent (mentalement ?) ont définitivement coupés le lien avec le mythe du XXe siècle. Avions-nous été bernés ? Il fallait bien se rendre à l’évidence, et creuser au delà de temps, chercher en amont et en aval notre propre singularité. Cette tentative, aussi désespérée soit elle, se transforma en roman, Falkenstein ou l’utopie de Garibaldi et celle de Louis II de Bavière se donnait la main par delà les siècles. On jugera sur pièces du caractère dérisoire d’un tout premier roman... C’est ainsi qu’est né ce désir d’invoquer d’autres muses pour dépasser le crépuscule de la littérature et tenter, à partir d’un minuscule point sur la carte, de dériver dans l’espace et le temps, passant indistinctement d’un jardin de Leeds à l’île d’Hokkaido pour se perdre et se retrouver dans un pays au delà de la forêt : le monde miroir.

19 janvier 2007

Denis Robert à la BANK et la contradiction du monde






200 visites d’huissiers + 30 procédures judiciaires = des milliers de coups de téléphones et des centaines de TocToc à la porte. C’est l’équation de Denis Robert mis en forme par Philippe Pasquet, à la galerie BANK . Tout ça ce n’est pas clair ! Mais en réalité , c’est une affaire de « claire fontaine » : Cleartream dans le texte. Une société luxembourgeoise qui doit faire sonner son Google alerte quand vous soufflez dans le clairon. A la BANK, il y a de tout, des faux et des vrais photographes qui prennent des photos tout azimut. Les plus beaux à voir, ce sont ces photographes(?) avec des objectifs de concours à faire un gros plan sur l’anus de Rocky Balboa. C’est pas un peu exagéré pour une petite galerie, les gars ? Ils sont sur le trottoir d’en face... Le Président Salengro est venu en personne avec ses caméras : « Quel est le droit du travail au Groland monsieur le Président ? » , « je ne sais pas moi, je ne travaille jamais ». Michael Kael en personne est venu faire un reportage bidon, comme d’habitude. Le père Denis à du backup quand même.

Pas mal de wannabe, cependant, attirés pas les caméras de canal+ et le
gouv.org du Groland. Moustic, bouzin de bouzin, n’est pas là. Il est très certainement en train de monter des radios pirates derrière les Pyrénées. En parlant de wannabe, je vois passer une blonde platine très certainement intéressée par les fichiers clearstream... (Blague) Moi, en tout cas j’ai vérifié, je n’y suis pas !

« Comment ça tu as vérifié, me tance Poliakov ? ».

« Ben j’ai tapé mon nom sur le fichier et il n’est pas apparu ! »

« Et le fichier tu l’as trouvé ou ? »

« Sur le web ! »

« Arrête de faire ton Charles Gérard ! »

« Ben si ! »

« Tu télécharges un fichier cleastream sur le net toi ? Comment tu fais ?

« Avec Google »

« Attends un peu, toute la force de frappe de l’intelligence française se casse le cul à appeler un Libanais chelou pour récupérer ces fichiers, et toi tu tapes « Clearstream » sur un moteur de recherche ? »

« Ben oui »

Soudain un grand énergumène prend la place d’un « nobody » au dessus duquel est inscrit : « nous sommes tous des receleurs ». Plusieurs photographes de Paris Match le shootent.

Milan « stop talking » Denis Robert à la volée. La fillote de Denis vient nous distribuer des flyers pour le comité de soutien de Robert. « T’es plus jolie que ton père lui assène Milan en la stop talkant ». « La belle en robe parme est fâchée, mais juste ce qu’il faut pour minauder. Voila une belle « montebourde » mais il est vrai que le papa à l’air d’un avant centre de rugby bien fatigué... C’est vrai, donnez moi 200 huissiers et je vous prends Moscou ! Alors Denis Robert tout seul...

Après cette visite au coeur de la finance internationale, nous voilà chez Playstation 3, à jouer à un jeu de baston de rappeurs. Le monde est une énorme contradiction. Le pire, c’est que lorsque Milan a fracassé mon avatar avec un double crochet venu direct de Detroit, la contradiction du monde, on s’en foutait complètement...

« Rémy, Rémy, comment ça marche ton jeux racailleux » demande Milan.

« Racailleux » c’est le mot qui clôt l’affaire Clearstream.

« Vas y, continues ton kombart, père Denis » nous, on a un « mortal Kombat » à finir. Ah ! J'oubliais, ça s'est terminé par le plus pathétique karaoké de 'histoire de la chanson française. Une bonne soirée se termine toujours par un karaoké...

15 janvier 2007

Et dans l'histoire du surréalisme, tu me remets ?
























Me voici en queue de peloton du mouvement surréaliste... Dans le remarquable essai du poète Christophe Dauphin " Sarane Alexandrian ou le grand défi de l'imaginaire", Bibliothèque Mélusine, L'Age d'Homme, Lausanne , 2006.

13 janvier 2007

La tombe de D'Annunzio

"La tombe de D'Annunzio" ( Black and light) par la photographe Jill Berry

11 janvier 2007

Odi profanum vulgus et arceo






















Mon dernier post était un NEC PLUS ULTRA. Plus rien au delà... Effectivement, on ne peut plus étirer le post report de telle manière qu’il ne ressemble plus à rien, que les prémisses se perdent dans la forêt du sens, que les directions se brouillent, et que le temps et l’espace se trouvent mis a plat comme un buffet froid... On doit mettre cette expérimentation absurde sous l’effet d’un lapsus calami, un glissement de plume... Où doit-on dire désormais un « lapsus blogi ? ». D.H. Lawrence, avec son charme roublard de parasite mondain et son esthétisme de sale gosse, expliquait à sa manière pourquoi les futuristes allaient trop loin :

« C’est une réaction contre le sentiment ridicule et l’attachement aux traditions et à ce qui spirituellement, est mort. C’est pourquoi je l’aime. Je les aime lorsqu’ils disent à l’enfant : « Si tu veux détruire les nids et tourmenter les chats, c’est bien, mais fais-le avec ardeur. » Mais je me réserve le droit de répondre : « c’est bien, essaye, mais si je t’attrape, tu seras rossé. » (Italie, 2 juin 1914)

Pour ceux qui se méprennent, j’ajoute que détruire les nids et faire du mal aux chats, est une « métaphore ». Remplacez nids et chats par ce que vous voulez et vous vous direz, mais oui bien sûr. Une métaphore ? Pas si sûr...A dix ans, avec un pistolet à air comprimé, j’ai visé un moineau sur un fil électrique à 30 mètres. Je ne m’attendais pas à le toucher. Le piupiu est mort sur le coup d’une balle dans la tête. Je n’ai plus jamais recommencé, mais je suis toujours resté un bon tireur. C’est ça l’ardeur, le geste infantile, la bravoure inutile, et ça devient vite le romantisme sur fond noir. C’est aussi le donquichottisme et le donjuanisme de la civilisation occidentale. On a beau vous dire le contraire, mais ni Rabelais, ni Villon, ni Shakespeare, sans parler de Dumas, Strindberg, Hamsun ou Pouchkine, n’étaient des parangons du tout sécuritaire... Dans le galion de la culture, le code pénal a le mal de mer et les oiseaux morts tombent par millier. Parfois, et c’est joli à voir, un poète se prend pour un albatros, et il est abattu comme un chien errant dans les rues d’Abilène. C’est Rimbaud qui se fait scier la jambe, ou Verlaine, clochard, qui demande un bock de bière et du lard à ses admirateurs... Mais comme le disait le grand Brillat-Savarin le plus illustre des gastronomes français:

« Prenez par le bec un petit oiseau bien gras, saupoudrez-le d'un peu de sel, ôtez-en le gésier, enfoncez-le adroitement dans votre bouche, mordez et tranchez tout près de vos doigts et mâchez vivement : il en résultera un suc assez abondant pour envelopper tout l'organe, et vous goûterez un plaisir inconnu au vulgaire : Odi profanum vulgus et arceo. (« Je hais le vulgaire profane et je l'écarte » (HORACE, liv. III, ode I, vers 1). :

Le tir aux pigeons avec Denis Robert...


03 janvier 2007

Soirée Paris Première : le champagne, le proxénète et le Gotha...















Voilà, tout se mélange... déjà. A laisser filer l’année 2006, j’ai laissé en plan mon post report de la soirée Paris Première. C’était la der des ders de l’année, et je m’en suis foutu comme d’une guigne. C’est incroyable comme il ne reste rien après quelques semaines d’oubli et de foie gras. Je me souviens seulement d’être rentré à la manière d’un chameau dans le châ d’une aiguille. J’ai aussi le vague souvenir d’avoir croisé un Beigbedder barbu avec Lolita Pile, d’avoir bu moult Veuve cliquot Poncardin et de m’être fini à la vodka cranberry à la manière d’un viking ( les cranberries viennent du Massachussetts, les Vikings les ont confondus avec du raisin : Vinland-Amérique). Eine Grosse veve ! comme disent les Allemands, le lendemain on regrette sa vie de patachon et on maudit l’alcool.

D’ailleurs, après coup, ça ne m’arrange pas d’avoir bu de la Veuve Cliquot...

Je sais que ça ne va pas plaire aux sponsors, mais qu’importe, effacez tout et lisez « Pommery ». Ce petit mensonge m’arrange, il faut donc lire « j’ai bu du Pommery ». C’est par pur opportunisme que je mens car, à la manière d’un Guillaume Tell nanochevik, j’ai une flèche du Parthe à tirer dans la Pomme(ry). C’est bien beau d’être le champagne des Grands et des Puissants, mais l’histoire à des petits retournements de vestes qui n’échappent pas à un nanochévik de base. D’ailleurs, l’histoire ne servirait à rien s’il ne nous était pas possible de nous en servir comme d’un gourdin.

Tout d’abord mes excuses les plus plates, pardon ! Les plus pétillantes, à la Veuve Cliquot. En réalité j’ai une petite excuse : il s’agit aussi d’une histoire de veuve... Mais celle là est la veuve Pommery qui en 1866 associa son fils et sa fille la marquise de Polignac et le gérant Henry Vasnier. Que du beau monde ! sachez que dans le monde de la hyper hype, les Polignac sont apparentés aux Grimaldi. Mais reprenons le fil de nos mauvaises pensées... La maison s’appelle désormais 'Veuve Pommery, Fils et Cie' . On nage ici en plein matriarcat à faire mouiller Virginie Despentes. Le monde du champagne à un côté poilant de vieilles dentelles, et de veuves éplorées. Au masculin ça ne marche pas : « Veuf Ranx, Fils et Cie » qui serait capable de boire une telle piquette ? Pas moi ! Entre temps, j’ai fait un name dropping de circonstance en lâchant le nom d’Henri Vasnier, le monsieur Nobody du champagne. Le monsieur à un boulevard dans la ville de Reims, et ce n’est pas rien d’avoir ses initiales dans le ville la plus riche de France... Ce n’est pas tout, Henry Vasnier légua a sa mort en 1907 un ensemble exceptionnel et inédit de 362 peintures, dessins, pastels, aquarelles, gravures et estampes, 35 sculptures, 175 objets d'art ainsi que 7 meubles. Petite précision Henry Vasnier, sorti de nulle part, était un pur crevard de son temps devenu un des hommes les plus riche d’Europe et un ami du musicien Debussy. L’homme commença petit en qualité de représentant intéressé à la Maison Pommery, et outre ses appointements, il touche une commission sur les bénéfices. C’est grâce à ses voyages en Angleterre et aux USA qu’il développe de nouveaux marchés pour l’invention de Dom Perignon. On le voit traverser l’Amérique en diligence, ouvrir des bureaux à New York et San Francisco et fréquenter assidûment les saloons de l’ouest.

J’en allais presque oublier que j’étais sous le Pont Alexandre III, à observer d’un oeil torve l’idéologie de la régulation sexuelle. Ça doit être sous l’effet de la vodka cranberry car je me souviens sans fausses notes d’un Philosophe américain James P. Carse qui affirmait fort à propos qu’une « société montre sa maîtrise dans la régulation de la sexualité non quand elle fixe des normes sans ambiguïté de comportements sexuel ou des attitudes prescrites devant les émotions sexuelles, mais quand elle institutionalise l’exhibition des emblèmes des conquêtes sexuelles. Ces institutions peuvent être aussi diverses que la règle de brûler vives des veuves sur le bûcher funéraire de leurs maris ou l’exigence de présence bien visible de l’épouse à la cérémonie d’ouverture du mandat d’un élu. La sexualité finie est une sorte de théâtre ou la distance entre les personnes est régulièrement réduite à zéro, mais ou plus aucun ne touche l’autre. ( in Jeux finis, jeux infinis, le pari métaphysique du joueur, 1986).



Tout ça me permet de sauter sur le trait d’union en affirmant que si nous ne brulons pas les veuves en France, on en fait éventuellement des marques de champagne... Et puis inutile de polémiquer sur ces showcases ou tout le
monde se frotte sans jamais se toucher. Je n’oublie pas mon cher Henry Vasnier au passage qui avait trois passions : la chasse, les œuvres d’art, et les femmes... Ainsi en 1890 il loue un hôtel particulier boulevard Lundy où il fait aménager une importante galerie de peintures. L’hôtel particulier de monsieur Vasnier devient un salon très particulier, dont les murs étaient véritablement « tapissés » de tableaux et les canapés de velours rouge, agrémentés des plus belles prostituées et demi-mondaines de France. Ce vieux célibataire libertin collectionnait les femmes en chair et en portraits. Henry Vasnier aime les femmes à la peau laiteuse et aux formes généreuses. Aujourd’hui, sur internet, on dirait qu’il aime les BBW. Elles ont le plus souvent le regard vague de l’onaniste exhibitionniste, une sensualité de lupanar décadent, et un charme désuet et nostalgique. parmi ces portraits citons “La lecture du rôle » de Renoir, « L' espiègle » de Charles Chaplin, ou encore « Liseuse » d' Antoine Calbet.



Mais la passion d’Henry Vasnier allait encore plus loin. Nostalgique des saloons et bordels d’Amérique, il achète vers 1900, plusieurs hectares de terre sur un plateau désertique de Picardie, à 30 kilomètres à l’ouest de Reims près du village de Craonne. Il s’empresse de faire planter de la vigne sur les coteaux exposés afin d’agrandir le domaine Pommery et fait construire un Zoo, un parc de plantes américaines et un gigantesque saloon ainsi qu’un hôtel : c’est « la Californie ». Des dizaines de prostituées viennent occuper « la maison de plaisance » d’Henry Vasnier » et c’est toute la haute société rémoise et les grands vignerons, qui viennent s’encanailler, habillés en cowboys, sur ce qu’on appelle « le plateau de Californie ».


Ainsi, l’homme qui a fait la fortune de la maison Pommery, celui qui a fait découvrir le champagne au monde, et qui a fréquenté les nobles maisons d’Europe et plus particulièrement les Polignac et la Maison de Monaco, était vraiment, ce qu’on peut aujourd’hui désigner comme un libertin, un mélomane, un collectionneur et un « proxénète » .

Ainsi, aux racines de la hype et du Gotha international, n’oublions pas qu’il y avait les petites putes de la Californie... Si vous rencontrez un Polignac, racontez lui l’histoire...ça ne le fera pas rire...Mais pas du tout. (Pour l’anecdote, les Grimaldi ont un château pas loin... à Marchais, le château des ducs de Guise et des Princes de Condé, et ils ne s’habillent plus en cowboys...)

Inutile de dire que je suis sorti de la soirée Paris Première avec un fou rire.

Un fantôme en habit de chasse, à l’allure de Burt Lancaster dans le Guépard de Visconti est passé devant moi au bras d’une pute en dentelles...

- Qui est-ce ?

-Henry Vasnier, ce crevard...