Sur ma lancée, je poursuis mon exploration de la politique par le petit bout de la lorgnette. Je joue mon Marat acide jusqu’au boutiste et me voici à faire le pied de grue devant le Zenith. L’exercice est moins périlleux qu’exaspérant, par précaution, j’ai une canette de Heineken superzize. Je suis bien le seul à travailler la cervoise au corps, sous le soleil de plomb, c’est moins du luxe que de la survie. Les regards en coin en disent longs, les langues asséchées pendent lamentablement. Mais ma parole « ils veulent me la piquer ma bière ! ». Petite précision, je suis au meeting de fondation du MoDem. On dit que c’est ça l’histoire, moi je dis que parfois on est mieux au pub. J’imagine très bien ce garde rouge qui s’est gelé les couilles pendant la révolution d’octobre en se disant mais qu’est-ce que je fou là, c’est nul ! Avant de me faire le MoDem, j’ai suivi un entraînement d’unité d’élite dans une île. L’épreuve consistait à rester toute une nuit dans une discothèque de province – le Bouc... qui pue du bouc- sans boire une goutte d’alcool, avec, pour seule activité une dance de 30 secondes. Inutile de dire, qu'observer des naïades de 130 kilos secouer leur barbaque sur de la techno et de se noyer dans une foule éthylique en attendant le bout de la nuit, c’est vraiment commando... Me voici enfin dans l’étuve, cette grosse tente est vraiment une horreur, une réminiscence du languisme triomphant des années 1980. C’est moche mais c’est solide, ce truc défie l’éternité. Quelle horreur !
La foule commence à remplir la fosse, quelques belles têtes de Bronzés (font du ski) avec des T-shirt vieille garde UDF, des retraités échappés des asiles de vieux, quelque similis surfeurs, des piercings, des cheveux longs, des rien du tout. Rien que du classique avec ses relents de salle des fêtes, mais sans le champagne. Par contre, et le geste mérite d’être signalé on m’offre un joli T shirt orange. Ça c’est gentil !
Il y a quelques années, un article méchant de Libé présentait l’actuel chef du MoDem comme un mélange entre une « tête de veau » et un pâtre grec. L’image n’est pas fausse, mais pas totalement vraie non plus. Pour en savoir plus sur lui, je me place à 1 mètre de son petit oratorium. La tête de veau est là, mais c’est aussi une belle tête burinée, hâlée, avec des rides d’expression taillées à la serpe. Ce sont les oreilles qui bovinisent l’ensemble mais la structure osseuse est vraiment celle d’un pâtre grec. Je dirais même plus, c’est vraiment une tête de centaure. Le bas du corps est chevalin et on l’imagine sans peine, déshabillé de son costume informe, avec quatre pattes d’équidé. L’homme à des petits yeux noirs, brillants, roublards, comme ces vénérables paysans de nos campagnes. D’ailleurs, d’emblée, il inspire confiance, il a l’allure du bon samaritain des chansons de Brassens. On sent instinctivement qu’il vous offrira le gîte le couvert et qu’il vous fera passer en Espagne sans dire un mot et sans rien demander. C’est une forme de charisme, mais un charisme introverti, c’est sa force et sa faiblesse. Les militants semblent l’aimer pour ce qu’il est et non pour ce qu’il manifeste. Cette volonté bornée de se placer aux antipodes de toute hype, est paradoxalement la forme la plus aboutie de la hype.
Ici, au modem, on ne chauffe pas les salles, et avant l’arrivée du pâtre, la démonstration est didactique, chaloupant entre un show de téléréalité des alcooliques anonymes et une publicité pour lessive. Un panel de nouveaux militants est en brochette sur l'estrade. Ils viennent expliquer, à tour de rôle, pourquoi ils ont choisit le MoDem. Aucun cependant ne dit que le « MoDem le fait bander », mais ça doit certainement être sous entendu entre les lignes. Devant les déclarations de foi, je manque éclater de rire à plusieurs reprises. Pourtant, je prends intérêt à la chose, certains jeunes orateurs se laissent aller à dévoiler des zones de forces, des conflits et des contradictions latentes au cœur du mouvement. Je ne serai pas venu dans cette galère sans espérer traquer ces forces qui agitent plus ou moins la société française. C’est de cela qu’il s’agit. Les journalistes consciencieux qui sont au fond de la salle avec leurs petits carnets ne retranscrivent que les mots, l’écume des jours. J’ai moi aussi mon petit carnet et un stylo, mais à la différence de ces derniers, je suis dans la fosse, avec les photographes, la foule Modem dans le dos, la gueule du pâtre au dessus de moi. Et là, à la croisée d’ogive de cette architecture chaotique, je sens et je vois la scission fondamentale de ce Modem, le clivage effrayant entre la foule bigarré jeune et moins jeune de la fosse, et la vieille garde, centriste-réactionnaire des places assises. Il existe donc un ordre et des frontières non dites. Le slogan « Nous, c’est ( le pâtre) » renvoi en réalité à deux « Nous », celui qui veut naître et celui qui ne veut pas mourir... D’une manière purement anecdotique il y a ceux qui sont « modem à donf » et ceux qui sont « udf toujours »... Le grand rassemblement à du plomb dans l’aile dans son code génétique...
Revenons à nos moutons qui vantent le modem qui lave plus blanc que blanc. Entre rire et pitié quelques orateurs élèvent le débat à des hauteurs bolcheviks, ainsi, un jeune interne à la fière allure en appelle à la jeunesse conquérante et à la volonté de puissance. Le Modem, apparemment est secoué par des forces venus des âges ou Zarathoustra secouaient les montagnes. Une jolie franco-américaine, dit clairement qu’il faut « foutre le bordel ». Et nous voila avec un Hakim Bey sur le dos. Le mot rebelle revient souvent.
Mais voilà, la vieille garde veille, et ce que l’audace et la témérité balance à tout vents, les vieux censeurs régulateurs, viennent abaisser le niveau d’acidité en adossant systématiquement les mots résistance ou révolution avec « pacifique ». Nous voici dans le royaume de l’oxymore. C’est là que les choses se gâtent lorsque que les vieux tromblons du mouvement montent sur scène. Et voici voilà le florilège de vieilles varices et de surcharges pondérales, accompagnées d’un vieux fumet anti moderne du canal historique . Une mégère s’en prend alors à Youtube, à Bluetooth, aux téléphones portables, aux jeux et à internet. La fosse se retient, mais la rombière ne dégoise que pour sa paroisse de vieilles peaux, sans réaliser un seul instant que mille mains invisibles votent déjà pour sa mise à l’hospice. Pathétique.
Après ce passage à vide, voici le tour des people du mouvement. Tout d’abord un historien agréable incisif, celui qui en 2002 inventa ce superbe concept d’une « insurrection de l’intelligence ». Puis c’est le tour d’un journaliste célèbre, mais l’homme est d’un intérêt de basse fosse. Alors, à ma grande surprise, arrive le Clou ! L’apparition me sidère, et dérogeant à ma règle, je révèle que le Clou n’est autre que l’acteur Vincent Lindon. Ce qui me sidère n’est pas tant le visage du Clou, mais son charisme oratoire et cette facilité avec laquelle le Clou enfonce le clou en affirmant d’emblée « Vous étiez un mouvement de notables, vous êtes un mouvement populaire ! » En une phrase laconique, le Clou vient de désigner simplement les lignes de forces du Modem... Je suis décidemment trop baroque, mais bon je ne vais pas me mettre aux haïkus pour faire plaisir au Clou. L’acteur orateur, avec un sans gène aristocratique, en appelle soudain, à un échec aux législatives, c’est-a-dire à une remise à zéro du Modem... Le Clou se pose d’emblée comme le chef de file du grand formatage, et un partisan d’un parti insurrectionnel. L’idée est simple, en se débarrassant définitivement de ses derniers notables, en abandonnant la politique parlementaire, et en se recentrant sur un parti rénové, jeune, audacieux et qui agit dans la rue, le Clou espère bien construire une formidable machine de guerre nomade. L’ombre de Deleuze n’est pas loin...
Arrive alors le pâtre qui quitte son petit banc pour se placer derrière son pupitre. Comme je le disais plus haut, le charisme extraverti du pâtre est égal à celui d’un hamster. Ce n’est pas faute de potentialité cependant, l’homme est tout en violence contenue, l’autocontrôle est sa seconde nature. Il est arrivé, dans le passé que le pâtre sorte de sa réserve avec succès, mais sa volonté de se la jouer timoré oriental fini par lasser le plus patient paresseux. Maintenant qu’un Machiavel est au Zénith de la république, les règles changent, et ce n’est plus Mendes-France qu’il faut suivre, car les sentiers mous-mous ne conduisent qu’à la lassitude. Vous aimez la viande sans sel ? Moi je dis qu’il faut du Sorel dans la tête de veau. Le discours patenté du pâtre fait tellement chier, que la salle se vide comme un lavement. On attendra de voir ce qu’il reste de ce bidule après les législatives, quand le tassement alimentaire des vieux cons aura définitivement gerbé, et qu’il ne restera plus qu’une coquille vide que l’on pourra remplir avec ce que l’on veut. On aura tort de s’en priver... ce n’est pas tout les jours qu’on trouve un squat tout cuit pour faire joujou !
3 commentaires:
Vincent Lindon en révolutionnaire centriste ? les journaux ne nous disent rien ma parole.
Le Clou, ça c'est vachement bien trouvé ! en plus il a une tête de clou...
le timoré oriental est pas mal non plus..
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