Mina Loy, poète et épouse d’Arthur Cravan aura été la muse des futuristes italiens et par conséquent l’archétype de la femme moderne du début du XXe siècle. Femme libre, pratiquant une sexualité débarrassée de l’hypocrite morale bourgeoise, elle fera rêver aussi bien Marinetti, Apollinaire, Pacsin, Man Ray ou Marcel Duchamp, mais aussi les romancières Djuna Barnes et Nathalie Barney. Le pouvoir d’attraction érotique de sa personnalité étrange, son charisme désabusé avec une pointe de nostalgie cynique et satirique, provoquera les passions les plus folles. Un homme cependant, touchera profondément cette sirène bohème : Arthur Cravan, le poète boxeur, l’énergumène des arts. Elle le surnommera Colossus, du nom d’un roman inachevé (et certainement impossible) sur son époux disparu dans le Pacifique en 1918. Les poèmes de Mina Loy sont des joyaux de la modernité et le testament oublié d’une génération de grands fauves humains. La poésie de Mina Loy est un témoignage hautement ironique sur les rêves et les folies d’un temps situé dans une zone grise de l’histoire. Un monde de manifestes et d’Apocalypse que notre basse-époque ne cesse de vouloir annihiler et broyer dans ses mâchoires de basset. Ces hommes, comme l’écrit Mina, étaient des lions, et s’ils étaient ridicules parfois, c’est parce que ces grands enfants rêvaient le monde comme un château de sable à modeler. Ce poème intitulé Les mâchoires des lions, est un instantané d’une époque troublée lorsque l’Europe et plus particulièrement l’Italie se réveille groggy d’un calvaire de quatre années sous la mitraille et la boue des tranchées. Alors, dans la jungle urbaine de Milano, Roma ou Firenze, les Lions ouvrent leurs mâchoires et veulent dévorer le cadavre d’un monde passéiste qui refuse de mourir, ce monde mort-vivant (le nôtre...) transfusé par le sang anémié de vieillards aux noms de Wilson ou Clémenceau... C'est à travers le miroir déformant de la poésie de Mina Loy, que ces grands fauves poétiques deviennent les protagonistes de bouffonneries saturnales, et elle même n’échappe pas à sa propre ironie ou les nom-anagrammes renvoient à un dynamisme futuriste qui inverse les patronymes comme la vitesse déforme les images. Ainsi, sous les sobriquets de RAM et BAP, diminutifs de Raminetti et Bapini, nous retrouvons les futuristes Marinetti et Papini, chefs du mouvement Flabbergast (Futuriste...). Mais l’intérêt supérieur de ce poème tient à l’évocation de Danriel Gabrunzio... Gabriele D’Annunzio, le poète-soldat conquérant de Fiume, dont Mina Loy trace un portrait sans concessions mais étrangement tendre, comme si, dans les nuits de Fiume et la fête de la révolution, l’ombre de son poète-boxeur, Cravan-Colossus, continuait à danser sur la place Dante, sa chemise tachée par les palettes du peintre Delaunay ...
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Les mâchoires des Lions
I.
Ô lointains de la Suave Péninsule
Cet amoureux automatique des oiseaux lyriques
Danriel Gabrunzio
Aux mélodieux magnolias
À la mise en scène parfumée
Où les névroses impotentes
Grimacent dans la poussière
Aimait
Les comtesses
Dans un bain de tubéreuses
Les sens apaisés par l’orchestre
À l’hôtel Majestic Palace
Les sanglots...Depuis les halls psychopathiques
De son harem abandonné
Pourvoient à l’amusement des mondains
Comète conquérante
Balayant les bibliothèques continentales
Etoiles transmuées
Accusation d’alcôve
Et complaisance pommadée
Avec laquelle il entreprend des liaisons rococo
Tatouage-morsure d’une Elvire
Dans la chair de Marie
Et à midi, chaque jour
Des vierges nues chevauchent des mulets d’albâtre
Et reçoivent Danriel Gabrunzio
Venu d'Adriatique
Drapé dans une toge d'or
Marqué d'un Zodiac
En Rose chenille
2.
Le mépris des vielles idoles
Engendre de nouvelles écoles
Les compatriotes de Danriel Gabrunzio
Intriguent et inventent un nouveau protocole
La Myriade et l’Unique
Pour célébrer les amantes
Aux chairs changeantes
Jaloux, l’antique tonnerre
Des littérateurs latins
Rivalise avec la satieté de Gabrunzio
Manifeste explosif
Proclamant l’immédiate procréation féminine
De l’agamogénésis de l’homme
Assurance de l’intégrité spirituelle
Opposée aux courtisans carnivores
Manifeste du mouvement Flabbergast
Hurlement du chef Raminetti
Un éclair sans peur foudroie
Les modes et les débauches de Gabrunzio
Traçant sa route vers l’exception du cœur féminin
Sa gloire prudente
Demandant la trahison
De la déesse Mère
Capitulation sans condition
Au nom de la victoire
Raminetti
Fait claquer son fouet de maître de cérémonie
Chevauchant une locomotive prismatique
Fissurant l’autel des arts
Tel un représentant de commerce inquisiteur
Apportant les nouveautés de Paris dans ses poches
Cadeaux-souvenirs pour ses disciples
Pour qu’ils paradent
A son carnaval dynamique
Bapini l’érudit
Expérimentant un Baphomet auto hypnotique
Sur une montagne sacrée
Fonçant à la vitesse plastique de Raminetti
Arrachant la croûte de poussière livresque
Exaltant la nudité dangereuse
D’un guet-apens vermillon du Flabbergastisme
Il embrasse Raminetti
A pleine bouche oratoire
Préférant l’égotisme de lui même
En de gigantesques proportions
Tel une belle mère éclectique
Dans un mariage à demi-barbare
Académiquement chaperonnés
Les Flabbergasts
Sortent de l’obscurité
Abjurant leur croyance à la douceur de vivre
À l’opportunité féminine
Et Raminetti
Soucieux de suivre le sillage battant de Gabrunzio
Possède la mère et la fille
A l’exception de celles qui sautent du train
Au prochain arrêt...
Pendant ce temps, Bapini l’antagoniste
Publie un charmant commentaire
Sur l’art des femmes plombiers
Et la laideur comme élixir aphrodisiaque
Ces manœuvres et nouvelles manières passeront-elles inaperçues ?
Ces drôles de bonshommes
Qui découvrent dans leur boîte aux lettres
Ces multiples pétitions
Qui revendiquent l’enfantement du Flabbergastisme
Signées Nima Lyo, alias Anim Yol, alias Imna Oly
(Bouffon des services secrets de la Cause Féminine)
Tandis que le Flabbergastisme entre en ébullition
Quand RAM et BAP
Fuient leurs bruyantes et réciproques invectives
Alors cette conquêtes en Duplex
Revendique un certain succès
Contres les hardis résistants de Gabrunzio
3. Envoi
Raminetti, pour obstruction sur la voie publique
Est puni de petites peines de prison
Bapini est un poeple de Vanity Fair
Tout comme Imna Oly...
Je suis d’accord avec Mademoiselle Krar des pas perdus
Elle n’est pas vraiment une Dame !
Chevauchant le soleil couchant
DANRIEL GABRUNZIO
Corrige vertement
La crapuleuse précocité
De Raminetti et Bapini
Par l’oraison et le viol de Fiume
Et jette son œil perdu
Dans le giron tragique
De l’Italie
Mina Loy (1920)
Traduction : Tristan Ranx 2007
En savoir plus : Carolyn Burke talks to Pam Brown about Mina Loy
1 commentaire:
au passage, rejette un oiel dans ton latourex, dans l'intro les auteurs font référence à divers titre dadaïste.
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