30 novembre 2006

Beauregard : Souvenirs de Fort Union-Missouri-1870
















« Les mémoires de Jacques Toutant Beauregard », dont je livre quelques extraits, ne peuvent, à l’heure actuelle, être formellement identifiés. Un commissaire priseur de mes amis, pense qu’il s’agit d’un apocryphe réalisé dans les années 1960 par l’écrivain Frederic Prokosch. Quoiqu’il en soit, n’utilisez pas ces extraits dans vos travaux universitaires tant que l’origine de ce manuscrit n’aura pas été établie. J’ai cependant sélectionné un passage qui a le mérite de dévoiler une image de l’Amérique qui prend à contre-pieds la vision «glorieuse » que les Américains ont d’eux mêmes. Dérangeant...

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Nous sommes en train de naviguer entre la Floride et l’île de Cuba, reprenant l’ancienne route des galions espagnols vers Séville. Je suis allongé sur ma couchette et je ressens, à travers la coque du navire, les vagues tumultueuses se briser, et éclater contre les bords. L’océan ressemble étrangement à la frontière.

Souvenirs de Fort Union-Missouri-1870

Je revois toujours l’imposante silhouette du fort Laramie, comme un esquif échoué sur les rives d’une mer ténébreuse. Jusqu’en 1849 le fort avait été la véritable porte du royaume de l’Ouest. Mais son rachat pour quatre dollars par l’US army, fit reculer la frontière vers les montagnes rocheuses et les territoires du Dakota et des Black hills. J’avais 22 ans, lorsque je partais sur les traces des mountain men et que je passais pour la première fois devant ce fort mythique dont les hautes palissades avaient été démontées depuis bien longtemps. Ainsi, dès ma naissance en 1848, les terres des frontiermen commençaient doucement à s’estomper devant la civilisation. Lorsque je me rendis dans l’Ouest en cette année 1870, l’armée avait déjà érigé une ligne de forts vers le Yellostown et le Missouri. La porte de l’ouest à cette époque, avait les allures d’un hole in the wall, un endroit secret dont on chuchotait le nom avec discrétion; il s’agissait d’un vieux fort en ruine, fort Union, fondé par le trappeur Kenneth McEnzie en 1828 en bordure des monts N.Dak et qui avait lui aussi été vendu à l’armée en 1867, mais celle-ci préféra construire un nouveau fort à trois miles plus à l’est. Abandonné, le fort Union n’en continua pas moins à être le point de rendez-vous clandestin des indiens et des trappeurs dont le commerce s’accommodait mal de l’armée et des lois.

Les maîtres du camp étaient les survivants de la tribu des Hidatsas qui avaient été éradiqués par l’épidémie de variole de 1837, et son chef Crow Flies High, régnait sur les ruines comme un despote éclairé. Une ville cosmopolite de tipis avait poussé autour du fort, elle réunissait des tribus aussi différentes que les Assiniboine, Crow, Cree, Ojibway, Blackfeet, Arikoa, Mandan, Sioux et les sang mêlés de la vallée de la rivière rouge. La grande cour du fort, illuminée par des feux, laissait entrer une foule de curieux et d’acheteurs qui passaient entre les nombreuses ouvertures de la palissade éventrée. Le chef Hidatsa avait ses quartiers dans un donjon du fort, lui et sa garde prétorienne portaient des dolmans rouges et dorés qui avaient appartenu à la garde impériale mexicaine de Maximilien de Habsbourg, et qu’ils revêtaient par dessus la traditionnelle tenue en daim; ils portaient en outre d’énormes chapkas en peau de bisons qui leur donnait un faux air de Horse-guards britanniques. La compagnie de Crow Flies High régnait en maître sur le commerce, et les commissions allaient directement dans la poche du chef. Ici, pas question de concurrence, et la plupart des téméraires étaient tirés comme des lapins et dévorés par les loups. Le fort avait une allure de foire permanente et sur la plaza on s’échangeait des fourrures contre des armes, des couvertures, des ustensiles de cuisine et des vêtements. On pouvait en outre se faire arracher les dents par de faux dentistes métis, acheter des objets magiques, bijoux, talismans et autres chemises d’invulnérabilité très prisées des Indiens. La foule était composée de squaws et d’enfants, de guerriers enroulés dans de longues couvertures, de marchands ambulants et de trafiquants en haut de formes ou en Derby, d’aventuriers en vieilles redingotes militaires, de trappeurs et de coureurs des pistes au bonnet en peau de castor, certains d’entre eux avaient des vestes de daim lubrifiées à la graisse, dont la partie supérieure était confectionnée avec des étoffes rouge de velours précieux. Quelques uns étaient vêtus à la cosaque, en chemises sans cols et longs manteaux de fourrure en peaux de loups. Ils portaient la barbe avec de longs cheveux tombant sur les épaules. La plupart des mountain men ne quittaient jamais leurs grands fusils et tous arboraient un tomahawk, une paire de revolvers, un imposant Bowie Knife ou de minces dagues d’Arkansas passées dans la boucle de ceinture.

Dans un coin du fort, les colons qui voulaient éviter les humiliations et le racket de l’armée, s’étaient donné rendez-vous au Fort Union. Ils étaient à la recherche d’un guide pour le passage à l’ouest et vendaient leurs mules pouilleuses contre des vivres, leurs lourds chariots attendant à l’extérieur. Il arrivait souvent que les hommes des caravanes en viennent aux mains d’une manière brutale. Ici, au seuil de la frontière, de nouveaux chefs faisaient leur apparition sous le rire amusé des pisteurs qui attendaient que le couteau tranche la gorge du plus faible pour que les vaisseaux des prairies puissent se choisir un nouveau capitaine pour traverser les territoires sauvages. C’était au fort Union que les valeurs s’inversaient, et les wagon masters qui avaient guidé leur troupeau jusqu’ici, les instituteurs, clerc de notaire, et autres docteurs, étaient impitoyablement mis à bas par de rudes paysans, bûcherons, ouvriers, policiers ou toute arsouille des faubourgs suffisamment rusée et violente. Lorsqu’ils osaient résister au coup d’État, ils étaient tués. S’ils se soumettaient, ils étaient abandonnés et venaient grossir le rang des clochards qui hantaient le fort, puis, lorsque leur nombre augmentait au delà du raisonnable, Crow Flies High agissait comme un véritable satrape, et les malheureux étaient éliminés comme des parasites sans plus d’égards que lors d’une banale séance d’épouillage. C’est ainsi que des familles entières se recomposaient autour des mâles dominants, les femmes et leurs marmailles changeaient de mains, sans que ces derniers ne protestent beaucoup devant la chance supplémentaire qu’il leur était donné de survivre à leur périple. En l’absence de saloon, les Hidatsa organisaient des représentations théâtrales dans l’enceinte du fort. On pouvait ainsi assister à des danses indiennes assez ennuyeuses, si ce n’étaient les exotiques costumes emplumés, et des démonstrations d’adresses des confréries tribales d’acrobates, de jongleurs ou de lanceurs de couteaux. Mais le clou du spectacle était la cérémonie ou les Indiens se plaisaient à parodier le rituel catholique. Ils dressaient alors un crucifix ou un castor vivant était crucifié à l’aide de longs clous et le faux prêtre, qui était revêtu d’une tenue ecclésiastique trouée d’impacts de flèches, remplaçait la communion par des excréments ou des mets répugnants comme les têtes de souris ou des entrailles de chiens. La foule était en délire, pendant que des porteurs de lourdes calebasses passaient entre les rangs en remplissant les gobelets d’un quelconque jus de tarentule vendu par un trafiquant d’alcool local. Les spectateurs hurlaient de rire lorsque le prêtre obligeait les enfants de cœur à uriner en groupe dans un gros seau, ou ce dernier plongeait sa coupe pour y boire à grandes rasades. La cérémonie sacrilège finissait par une mêlée générale ou tout le monde était arrosé à grands jets d’urine. La suite des festivités consistait en des concours d’ingestion d’excréments qui étaient organisés par les jeunes membres des confréries de medecine men, particulièrement friands de cette nourriture au point de rivaliser sportivement entre eux. Jusqu'à aujourd'hui, je n’ai jamais trouvé le spectacle grand guignol des Hidatsas, plus répugnant que les fantasques zouaves irlandais du Louisiana Tiger Bataillon. Ces zouaves défilaient dans les rues de la Nouvelle-Orléans en 1861 avec leurs ridicules uniformes offerts par les bourgeois de la ville et qui consistaient en un pantalon bouffant blanc à rayures bleues, une chemise rouge, un boléro noir gansé de soie pourpre avec brandebourgs assortis, et affublés d’un petit bonnet de laine vermillon avec passementerie à pompon turquoise. Ce costume de clown me fait moins rire que l’uniforme impérial de Crow Flies High, puisque ces jeunes irlandais furent envoyés à la mort sans aucun état d’âme et qu’a la fin de la guerre on aurait demandé en vain à voir les restes du fameux Louisiana Tiger Bataillon. Le fort Union portait les stigmates des deux mondes, ni tout à fait la civilisation, ni tout à fait la frontière, il avait l’apparence d’un monstre ou d’un cancer sournois sur un corps encore sain ou les symptômes de la maladie apparaissent cependant inéluctables, avançant sous le masque rouge, exorcisant l’avenir par la fête et la folie. Aujourd’hui, le fort Union n’est plus qu’un château fantôme, une cellule morte enkystée dans l’épiderme de l’Amérique. Pareille au vieux dolman pourrissant sous les murs effondrés et la neige immaculée que ne viennent plus salir les pieds sales et le sang gelé des hommes libres.

1 commentaire:

Anonyme a dit…


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