22 mai 2006

Soirée péniche avec Sadok Musak

Lestrade m’avait donné rendez vous à minuit dans une péniche ou se produisait le DJ Sadok Musak. C’était une musique techno influencée par Hans Bellmer, Gabrielle Witkop, Artaud et toute la production pornographique allemande des années 1970. On retrouvait entre les beats et les basses, des mélodies samplées du film Vampiros lesbos de Jess Franco. L‘irruption harmonique agissait comme une décharge émotionnelle sur le corps des danseurs. Un écran projetait des images subliminales. Le film en lui même était un détournement d’une publicité sur les glaces inspirée par les recherches universitaires sur la synesthésie perceptive. Sadok Musak avait cependant introduit des éléments pervers qui édulcoraient et renforçaient l’effet hypnotique de la publicité originelle. L’oeuvre sado-musicale devenait un véritable stupéfiant agissant directement sur le cerveau... Les titres étaient scandé et vocodés en intercalant des performances masochistes sur une scène improvisée ou une jeune femme nue et fouettée, hurlait les passages d’un livre du Docteur Demetrius Zambaco : « Onanisme avec troubles nerveux chez deux petites filles » écrit en 1882. Cette péniche était un drôle d’endroit qui prenait aux tripes. Un mélange de répulsion et d’attirance aphrodisiaque suintait de la musique. Certaines filles se trémoussaient comme des danseuses sensuelles du Tombeau Hindoux de Friz Lang. Vierges lubriques, elles semblaient invoquer la déesse Kali ; leurs corps ondulant sous la triple courbure des fées de pierre du temple de Kadjourao. Sadok Musak avait le crâne rasé et couturé d’implants biomécaniques. Il était vêtu d’une robe de cuir cloutée comme Pinhead du film Hellreiser. Le morceau qu’il interprétait, entrecoupé de la voix de Bela Lugisi, était une ode à la comtesse sanglante Erzebeth Batory. Je me frayais un passage parmi la horde en transe à la recherche de mon ami. Je le retrouvais facilement dans l’entrepont aussi éméché qu’un chaman esquimau. Il me présenta immédiatement à Andrea, un italien vêtu d’un Tshirt rouge « Parce qu’on me voit mieux », roi de la combine et prince des soirées. Ils s’étaient rencontrés dans des circonstances particulières. L’italien conduisait dans Paris totalement éméché à l’amaretto et percuta la voiture de Lestrade. « Je ne vais pas le rater celui là » s’était dit le policier. C’était sans compter sur le caractère irascible du rital qui bondit comme un fou de sa voiture en poussant des hurlements, invectivant dieu, Garibaldi et Mussolini. Lorsqu’ Andrea découvrit que Lestrade était un policier, sa fureur, contre toute attente, augmenta. Dans un sabir italo parisien, il le traita de sale flic et autre joyeusetés éthyliques. Lestrade le colla sur la voiture pour le calmer quand une liasse de flyers tomba de sa poche.
-C’est quoi ?
-C’est pour aller dans des soirées sans payer dit Andrea.
- Tu allais ou lui demanda le policier ?
-A oune supere soirée, avec beaucoups jolies filles.ou je verrais pas ta gueule.
-Si tu le prends comme ça monte dans ma voiture, tu pues l’amande et la vieille nitroglycérine on vas y aller ensemble, ça vaut mieux pour toi, lui dit Lestrade
Ce dernier dû encaisser pendant plus dix minutes les insultes de l’italien avant qu’il ne se calme. C’est ainsi qu’ils devinrent amis.
-Je ne comprends pas pourquoi il ne m’a pas arrêté ? S’interrogeait Andrea.
-Quand on à la chance de trouver un italien fêtard à Paris on ne le lâche pas à moins de préférer les petits salés aux lentilles dans les caves des postes de police.
-Je vis dans la péniche d’à côté, me dit Lestrade
-Dans une péniche ?
-Je l’ai racheté à un trafiquant qui se retirait du marché. C’est génial j’ai seulement 20 mètres à franchir pour me rendre dans cette péniche boite de nuit, j’ai pleins d’amis. J’ai récupéré les potes d’Andrea comme ça j’ai tout sous la main.
-C’est le club med sur les bords de Seine dis-je avec admiration.
-Il m’a même installé une petite chambre d’amis dit Andrea. C’est comme à Capri içi, je dis à la fille « Viens voir mon yacht », et hop...
L’italien éclata de rire.
-Et toi il t’a arrêté pour quoi ?
-Il ne m’a pas encore arrêté ...
-ça c’est pas bon, dit l’italien, il est quand même pas normal ce flic...

La péniche de Lestrade ressemblait à un lupanar des années 1970.
-C’est cosy ici, n’est-ce pas ? dit Lestrade.
-J’aime beaucoup le lit rond dis-je
-C’est marrant les filles aussi, elles se précipitent dessus comme la vérole sur le bas clergé. Mais pour vous dire la vérité, un « Monseigneur » de l’église catholique romaine l’à jadis utilisé comme garçonnière. Parfois, quelques belles femmes un peu fanées viennent rôder à la recherche de leur passé libertin. Je leur fait visiter, et elles s’attardent un peu sur le lit. C’est fou ce que l’église catholique leur a apporté, j’en suis abasourdi. Du coup je suis devenu un fervent catholique et j’assiste aux offices de Notre Dame tous les dimanches.
Le bar du policier était impressionnant, on y trouvait des bouteilles d’alcool de genièvre hollandais, de la chartreuse, de la bénédictine, de l’élixir d’Armorique, et différents types de vodka.
-Il me reste quelques bouteilles de Blavodka dit Lestrade, c’est de la vodka noire, la préféré de Staline. Dans les années 1990 , Blavodka à lancée le produit sur le marché anglais, ce fût un échec. Autant donner des perles à des cochons. J’ai réussit à récupéré quelques caisses. Tous les ans, avec quelques amis nous nous rendons dans le petit cimetière de Saint Germain de Charonne dans le XXe arrondissement afin de rendre hommage au Père Magloire en versant une bouteille de vodka noire sur sa tombe.
-Le père Magloire ?
-Cet homme est une énigme. On l’accusa d’avoir été le secrétaire de Robespierre ou un jardinier réputé... Magloire n’était même pas son vrai nom... je prononce le sien en tremblant : Monsieur Bègue, disciple de la dive bouteille et de Bacchus, le seul et l’unique père Magloire, peintre en bâtiment de son état, le plus fameux compagnon de beuverie du XVIIIe siècle ! Son enterrement de 1838 fut des plus rabelaisiens, le vin de messe coula à flot, et le père Magloire fut enterré avec une bouteille dans le cimetière de notre Dame de Charonne . Plus tard, des hordes d’ivrognes et des aristocrates lui édifièrent une magnifique statue coiffée d’un bicorne.

Andrea se rapprocha de Lestrade et les compères chantèrent à l’unisson dans le plus pathétique spectacle qu’il m’eu été donné de voir.

Versons du vin et puis trinquons
Buvons ensemble à sa mémoire ;
C’est en l’honneur de son trépas
Q u ‘il a commandé ce repas.


A la fin de la chanson Lestrade versa une larme pleine de douleur et de sincérité. Ce sentimentalisme d’ivrogne me dégoûtait.

L’arrivée de Sadok Musak vers 3 heure du matin apporta une ombre salutaire sur ce duo paillard.
Il tenait en laisse un petit blond serré dans une combinaison en latex.
-Couché Polidori ! lança Sadok et l’énergumène se mit en boule comme un chien au pied de son maître.
-Vous prendrez bien un verre de vodka noire ? lui proposa Lestrade
- Volontiers, mais je dois me nourrir
-Faîtes comme chez vous !
Sadok sortit un scalpel, tira le bras de Poldori, et se mit à pratiquer une saignée sur son esclave. Le sang coula à flot dans un grand verre. Sadok garrota le bras et le laissa retomber comme on ferme la porte d’un frigo.
-Il est sous Prozac, avec un peu de Vodka noire c’est ce qu’on appelle un Dom Calmet chez les vampires . Vous en voulez ? me proposa Sadok, C’est un bon cru vous savez, je le garde en cage et je le fais contrôler toutes les semaines.
Je déclinais gentiment la proposition en jetant, je le crains, un regard horrifié sur le « bon cru » qui léchait son bras meurtri.
Sadok sirotait lentement son monstrueux cocktail, glissant une langue serpentine dans le verre, et lapant l’hémoglobine comme une chauve souris.
-Vous êtes un vrai vampire ?, demandai-je, sous l’effet euphorisant du vinaigre lestradien
-La première fois que j’ai bu du sang, j’ai tout vomi. Il a fallut que je le mélange avec du lait pendant deux mois. C’est une mode sympa que j’ai choppé à New York, mais la plupart des vampires de la Grosse Pomme sont morts du sida ou d’hépatite C . Moi, je suis du genre maniaque, je contrôle mon approvisionnement.

Cette équipe faisait dans la cinéphilie et les nuits sans fin. Andrea mit un Dvd japonnais d’un film de Seijun Suzuki datant de 1967 « Branded to kill », l’histoire d’un yakusa de seconde zone qui aspire à devenir l’ennemi public numéro 1… Au bout de cinq minutes l’italien ronflait comme le Tocsin. J’assistais effaré à la fin du film qui se terminait sur un ring de boxe avec le héros murmurant « je suis le champion ! » sans que l’on sache s’il est mort ou vivant… A vrai dire je me demandais moi aussi si je n’avais pas été envoyé en enfer en compagnie d’un flic sosie de Jean Pierre Léaud, et d’un clone de Maryline Manson, sans oublier Polidori qui commençait à fermenter dans son sac en plastique. J’ai finalement apprit une chose, chez ces types : une vraie conversation commence toujours à cinq heure du matin. After hours, comme disent les Américains.

-J’arrête le vampirisme dit Sadok, le mouvement commence à s’essouffler, des connards ont bouffé une journaliste aux USA, des Eglises de vampires commencent à fleurir, ça pue, et en plus Polidori n’est plus assez productif, je vais le fourguer à un coiffeur de la rue de Vaugirard.
-Un coiffeur vampire ?
-Mais non ! Il fait des épilations totales pour homos, il a besoin d’un assistant. Il est temps que Polidori apprenne un métier... Hein mon petit polly, tu vas aller voir monsieur Paul. Quand je lui dis ça, il est ravi, il remue la queue... Tu aime bien monsieur Paul... hein ? Sadok balança soudain un coup de pied dans le ventre de son esclave... Saloperie de chien, éructa t-il.
-Qu’est-ce que vous allez faire après le vampirisme ?
- C’est Lestrade qui m’a mis sur le coup. Une nouvelle vie s’ouvre à moi, bien loin de ces empaffés de hippies, de ces junkies de pacotilles et autres révolutionnaires de leur propre cul. Je vais me droguer au danger, utiliser mon corps pour combattre, devenir un maître ou mourir !
- Sadok va participer à des combats un peu particuliers, dit Lestrade, en contrepartie il doit me fournir des infos sur un réseau de prostitution qui gravite autour de ces manifestations.
-Lestrade m’a dit qu’on sera deux sur l’affaire.
-He, attendez,dis-je, de quoi vous parlez ?
- Ce n’est pas une question de technique, dit Sadok, mais de volonté. Depuis quelques semaines je prends des cours d’épée à deux mains. Je suis bon, j’arrive à couper un chien en deux. Dans deux semaines j’essai sur un poney !
-Vivant ?
-Bien sûr, pour qui me prenez-vous ?
-Mon dieu...
-Vous n’avez pas le choix Ranx, n’oubliez pas que je vous ai donné des infos pour votre reportage... maintenant c’est à vous de m’aider.
-Comment ça... vous aider ? vous allez me donnez un flingue ?
-Un flingue, vous vous croyez au Far West. Il n’y y a plus que les imbéciles qui utilisent ces armes sales, bruyantes et indiscrètes. Les vrais assassins utilisent l’arme blanche, tenez, voici un dossier de la PJ sur le sujet.
Il balança le dossier sur la table. J’ouvrais au hasard.
« Catacombe de Paris » le 3 juin 2005 « homme de 35 ans avec deux plaies à la poitrine, faites par un objet pointu sur la partie antérieur latérale droite. La seconde à dix centimètres sous l’aiselle gauche à pénétré dans la poitrine et sectionné les vaisseaux sanguins. »
Picardie, chemin des dames 14 juillet 2005, « Homme de 40 ans, avec une plaie au niveau du nombril, entre la sixième et cinquième côtes, une plaie pénétrante qui a perforé les poumons et le coeur provoquant une mort immédiate. »
-Attendez, c’est vrai ça ?
-Il y en a des dizaines en France, des centaines dans le monde. Ces types sont mort au cours de duels au troisième sang. Le vainqueur empoche des centaines de milliers d'euros.
-Et la police n’a jamais réussit à arrêter ces fous ?
-Impossible, c’est l’organisation la plus impénétrable du monde, même Al Quaida est un club du troisième âge comparé à ces types. Pour infiltrer le mouvement, il faut risquer sa vie et tuer ses adversaires. Ça calme n’est-ce pas ? Vous comprenez qu’un fonctionnaire de police n’a pas le minimum syndical pour ce genre de boulot.
-Envoyez la Légion alors!
Vous savez... les deux types morts... c’étaient des légionnaires...
-Pourquoi moi ? Sadok je comprends, il est prêt à tout, mais moi ? Vous n’avez pas un escrimeur sous la main.
- J’ai besoin de quelqu’un de curieux et d’un malade
-Vous me classez dans quelle catégorie ?
-Sadok est un grand malade et il le sait. Deux possibilités, deux chances. En tout cas, avec vous deux, j’ai trouvé mes perles rares. Bon je vais aller me coucher.

Dire que ce salopard avait encore la force de dormir.

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